Chase leva lentement les yeux vers le ciel. New York était indéniablement une belle ville, dont la vivacité ne cesserait jamais de l'impressionner. Pourtant, la quiétude de son petit coin de pays au Canada lui manquait parfois. Il revoyait le chalet en montagne où il avait l'habitude de passer des hivers rigoureux sous la neige. L'électricité venait à manquer et il devait se battre avec la génératrice de secours... Il fendait et cordait le bois, occupait ses journées à l'extérieur dans la paix des bois et se retrouvait le soir devant un bon feu, seul mais pas solitaire pour autant, appréciant ce calme et ce moment en tête à tête avec lui-même. Il avait une vingtaine d'années à l'époque. Peut-être moins. Il était devenu très autonome jeune et prenait déjà sa vie en main. En fermant les yeux, il revoyait presque le lac gelé. Entendant presque encore hurler les loups.
C'était le bon vieux temps. Lorsque tout était plus facile.

L'homme s'arracha à ses réflexions et laissa son regard errer vers ses jointures. Il lui arrivait fréquemment d'abîmer ses phalanges; sur des gens. Sur des nez cassés, des mâchoires fragilisées. La dernière fois remontait à un moment maintenant, les dernières blessures avaient cicatrisé et presque plus rien n'y paraissait. Ceci était sa nouvelle vie maintenant. Il n'était plus dans son chez-lui, à Vancouver. Il n'était plus dans son petit chalet au nord de la province. Il n'était même plus dans le même pays. Tout avait changé, lui compris. Il lui arrivait de regretter ce temps, mais il avait été temps pour lui de passer à autre chose et il devait désormais assumer. Il n'était pas comme les autres et ne le serait jamais.

Secouant la tête afin de chasser pour de bon des souvenirs à la fois tendres et douloureux, Chase se redressa du mur où il s'était appuyé. Ici personne ne le connaissait, personne ne savait rien de lui. Il n'était qu'un homme parmi tant d'autres, un être à qui l'on portait peu attention. Tout le monde passait en vitesse et l'ignorait comme s'il n'existait pas. Ce n'était pas plus mal. Il marchait sans être dérangé, les mains enfouies dans les poches de sa veste. Un bar. Cela faisait une éternité qu'il n'avait pas bu un verre dans un endroit comme cela. L'idée lui semblait alléchante et il succomba vite à la tentation, laissant ses pas le guider vers la devanture de l'établissement. Il posa la main sur la poignée, ouvrant la porte après une brève seconde d'hésitation et pénétrant dans l'endroit. Le regard bleuté de Chase parcouru la place et se déposa sur une place libre au comptoir, vers laquelle il se dirigea sans plus hésiter. Il espérait une nuit tranquille; il avait pourtant le pressentiment que son souhait ne serait pas exaucé.

Chase avait cette capacité, de sentir des choses que les autres ne pouvaient percevoir. Son instinct plus aiguisé le mettait souvent en garde contre des événements susceptibles de se produire. À l'instant, il pressentait une agitation imminente, mais essayait de ne pas en faire de cas. Il lui arrivait encore d'espérer, parfois, que ses sens le trompaient. Cette mutation qu'il possédait, qui pourtant jamais n'avait tort ... Avec un soupir, il commanda un bon scotch. L'endroit était relativement calme et la bête en lui ne semblait pas se sentir agressée trop violemment, ce qui était un bon signe en soi. Peu importe ce qui guettait ce bar, le danger n'était pas grand. Du moins, pour le moment, c'était ce que son corps semblait vouloir lui faire comprendre. Bien décidé à ne pas fuir comme un lâche, et surtout ne pas attirer l'attention sur lui en ressortant deux minutes après être entré, Chase ne bougea pas de son tabouret, remercia le barman pour son verre et en avala une gorgée. La légère et réconfortante brûlure du liquide chaud dans sa gorge lui arracha presque un sourire. Ça faisait longtemps...
Il espérait seulement ne pas avoir à s'offrir en spectacle. Si la situation tournait au vinaigre et qu'il se retrouvait impliqué bien malgré lui, ce ne serait pas forcément bon. M'ouais ... Se fier à ses envies soudaines d'un verre, ce n'avait pas été sa meilleure idée. Il entreprit alors de promener son regard autour de lui, observant discrètement la place et les gens en s'assurant de ne pas paraître suspicieux, tentant avant tout une petite manoeuvre de reconnaissance, question d'évaluer la situation et les risques potentiels qui pouvaient bousculer son instinct comme cela.

Une autre journée s'achevait avec la lumière écarlate du coucher de soleil éclaboussant la façade de l'immeuble en briques rouges. Nathanael n'avait pas voulu rester cloîtré une énième fois dans la pièce exiguë qui lui tenait lieu de domicile et avait donc quitté son dernier repaire en date afin de se changer les idées. Sa vie depuis quelques temps ne pouvait plus qu'être difficilement qualifiée comme telle. La fuite. La recherche d'un nouvel endroit où s'arrêter. Un nouvel accident. De nouveau la fuite.
Tout était la faute de sa mutation. Ce pouvoir, cette capacité dont il était doté avait coûté la vie de sa fiancée, l'avait obligé à fuir sa ville natale coupable, avec pour seul possessions l'héritage que lui avaient laissé ses parents à leur mort. Et depuis lors, une vie de fugitif ; car quel que fut l'endroit où il décida de poser pied, il lui avait suffi d'être la proie de ses songes les plus éprouvants pour se réveiller au milieu d'une flaque de tissus et de briques, l'air chargé de particules ayant été meuble, vêtements ou sol avant que sa capacité mutante n'altère leur physique.
Et s'il avait appris à dormir nu afin de limiter sa consommation de vêtements, il devait cependant de nouveau disparaître chaque fois que cela survenait.

Mais Nathanael était sorti pour se changer les idées, et non revenir sur les choix -certes souvent plutôt mauvais- qu'il avait pu faire jusque là. Ce qu'il souhaitait, de l'alcool. Curieusement, l'alcool endormait ses réactions et lui conférait une certaine satisfaction à ne plus se soucier, ne serait-ce que pour une soirée, de sa "malédiction". Seulement il avait vite était conscient qu'il ne devait pas non plus de trop en abuser, auquel cas les conséquences au lendemain étaient plutôt... désastreuses. Et par cela je ne souhaite pas sous-entendre la présence d'une mineure ou d'une personne au physique très déplaisant dans son lit.

Un détour au coin d'une rue, traversée de route, déambulation hasardeuse et enfin le jeune homme ralentit à l'approche de l'enseigne d'un bar. Non trop miteux sans être pour autant trop côtoyé, il était plus que convenable pour les attentes de l'américain. Il poussa le battant de la porte et entra dans l'ambiance confinée caractéristique qu'ont les bars qui ne sont jamais pleins. Nathanael avança de quelques pas hésitants puis s'approcha du comptoir, où un siège libre aux côtés d'un autre homme l'accueillit. Il jeta un bref regard à ce dernier, qui tenait un verre de scotch dans sa main, puis porta son attention sur le barman -qui selon toute vraisemblance devait aussi être le propriétaire et unique employé- et demanda brièvement une bière. C'était bien suffisant pour commencer.

Nathanael eut à peine le temps de porter sa bouteille à ses lèvres qu'une voix rauque à sa gauche le fit sursauter.

-Hé toi! Lâcha un homme qu'il devina dès le premier coup d’œil ivre. Je te reconnais!

Peu surpris d'avoir affaire à ce genre d'individus "gênant" dans un bar, le mutant ne fut pas plus déconcerté et se contenta d'afficher un sourire amical avant de répondre d'une voix neutre.

-Je suis désolé, je pense que vous faîtes erreur.

Mais ce soir ne devait pas être la bonne soirée. Car au lieu de se contenter de grommeler et de repartir en titubant, l'homme au crâne en partie dégarni s'approcha un peu plus, s'appuyant contre le bar, et insista.

-Oh mais si toi j'te reconnais! T'es... T'es c'te salaud qui m'a poussé dans la rue tout à l'heure! T'l'as fait exprès parce que... Tu t'sens plus mieux qu'moi p't être?

Décontenancé par cette accusation sans fond ni justification, le jeune homme essaya de temporiser la situation en surenchérissant -il n'avait même pas encore eu le temps de boire sa bière!.

-Je vous assure vous faîtes erreur, monsieur. Je viens d'arr...

Nathan n'eut pas le temps de terminer sa phrase que le vieil homme lui décrocha un coup de poing. Il n'eut pas le temps de l'esquiver et ne put que limiter les dégâts en présentant sa joue plutôt que son nez ; ce qui ne l'empêcha pas de voir trente six chandelles lorsqu'il reçut le coup et s'effondra au sol.

Un homme prit place à ses côtés. Il venait vraisemblablement de pénétrer dans le bâtiment et vint se commander une bière. Un classique. Chase lui jeta un court regard de biais, reportant de suite ses yeux sur le contenu ambré de son verre qu'il remuait doucement en un mouvement circulaire. Il en avala d'ailleurs une seconde gorgée, buvant comme le ferait tout client ordinaire assit dans un bar. Pourtant, quelque chose avait changé avec l'arrivée de cet homme. L'atmosphère lui semblait différente, plus tendue, l'explosion imminente. La sensation ne venait pas de l'inconnu ayant prit place à sa gauche- un simple reniflement discret de l'air l'avait convaincu -mais sa toute nouvelle présence dans l'endroit venait indubitablement de servir d'étincelle à quelque chose qui les menaçait de leur exploser dans la figure à tout instant. Chase songea même un bref instant à réellement ficher le camp. Pourtant il ne bougea pas, glissant un second regard vers l'homme...

Juste à temps pour voir un second individu s'insinuer entre l'homme et lui, faisant dos à Chase alors qu'il abordait le premier homme d'un ton brusque. Il n'était pas inusité de voir ce genre de chose se produire dans des bars; c'était même le coup classique de l'être un peu trop ivre qui met le feu aux poudres et s'attire des ennuis- ou en cherche là où il n'y en a pas. C'était presque trop ridicule pour être vrai et pendant une brève seconde, notre mutant cru enfin s'être trompé. Pendant le plus futile des instants, une forme de soulagement le submergea à l'idée que peut-être, ce pouvoir qui était sien pouvait faiblir; faiblir et disparaître à jamais. Son instinct le trompait. Il était porté à lui faire confiance, mais il n'y avait aucun danger dans ce bar. Qu'un homme saoul qui en agaçait un autre pour une histoire de bousculade un peu idiote et sûrement injustifiée- Chase était même persuadé que les deux hommes ne s'étaient jamais vus de leur vie.

PAF

Ce son caractéristique d'un coup de poing résonna aux oreilles de Chase qui reposa son verre en un instant. La bagarre et lui se connaissaient peut-être un peu trop bien pour que ce soit sain et raisonnable, mais il fallait pourtant l'admettre. C'était un sale coup, il le constata bien vite. Ivre mais pas dépourvu de moyens, semblait-il. Déterminé à empêcher la situation de dégénérer, le mutant se leva vite fait afin de couvrir l'inconnu qui venait de faire la connaissance du plancher. Juste à temps d'ailleurs, car il s'empara du bras de l'individu qui semblait prêt à se pencher sur le pauvre jeune homme déjà à terre et lui donner la raclée de sa vie, interrompant du coup le mouvement.

- Hey. Hey calmons-nous, whoa ... Je suis sûr qu'il y a moyen de régler les choses autrement qu'avec les poings.

Ouais. Regardez qui parle. Monsieur bagarreur en personne.
Profitant du fait que l'autre semblait battre un peu en retraite, il allait se pencher afin d'aider l'homme à se remettre sur ses pieds lorsqu'un violent coup qu'il n'avait pas vu venir le surpris et l'envoya directement au tapis. Sur le pauvre gars qui y était toujours étendu, à moitié sonné. Oups. Pardon.
Essuyant ses lèvres d'un geste du revers de la main, tachant la peau d'un mince filet de sang, il se redressa et jeta un regard assassin à l'homme. Ivre ou pas, il s'attaquait à la mauvaise personne. Il aurait dû reculer et en arrêter là pendant qu'il en avait encore le temps. Mettre Chase en colère ... C'était la pire des mauvaises idées.

- Vous auriez pas dû faire ça...

Il était sur ses pieds en moins de deux, décochant un coup de poing fort et étonnement bien visé en direction d'un visage qu'il ne se gênerait pas pour défigurer. Si on le cherchait, on le trouvait, point. Le coup porta fruit mais ne le satisfit pas pleinement. L'ambiance avait changé dans le bar, les gens s'agitaient, la bataille qui venait d'éclater attirant l'attention. On hurlait à leur intention. On encourageait, qui l'aurait cru. Insensible à l'agitation de la foule, Chase évita un coup de poing, attrapa l'homme par le col et le poussa violemment en direction d'une table sur laquelle il s'effondra mollement. Oh, on a une faiblesse? Pourtant, ça ne faisait que commencer... Car déjà, le mutant s'approchait, ne semblant pas en avoir fini avec lui ... Allez lève-toi, on va faire quelques rounds...

Une myriade d'étoiles et le goût âcre de la poussière sur la langue. Ce fut suffisant à Nathanael pour reprendre quelque peu ses esprits. Il ouvrit un oeil, aperçut le plancher crasseux d'un bar, sentit l'odeur de crasse digne de tout pub de New York lorsqu'enfin il sentit la douleur. Le choc passé sa joue endormie finit par se réveiller et par la même occasion éveiller les sensations de sa pommette gonflée. Il essaya de se mouvoir, testant chacun de ses muscles et articulations et parut satisfait, lorsque soudainement un choc brusque et violent le plaqua de nouveau contre le plancher vieilli. Et de nouveau une myriade d'étoiles. Le jeune homme chercha un long moment sa respiration que le choc avait soudainement coupé, puis essaya de se calmer un instant. Il rouvrit les yeux, battit des paupières pour accommoder sa vue, et reprit enfin conscience de la situation.

Il ne lui fallut que quelques instants pour se remettre sur pied, bien qu'une fois haut de ses 1m89, il tituba un instant pour retrouver son équilibre. Un bref regard au sol suffit pour comprendre que le coup avait été une fenêtre suffisante pour son pouvoir mutant à se manifester. A ses pieds, là où son visage avait frotté le sol quelques secondes auparavant, le parquet avait gonflé de manière grotesque et s'était déformé de façon chaotique. Son haut de vêtement -une chemise à manches courtes noires- s'était allongé dans sa partie basse et pendait maintenant mollement comme l'aurait fait un chewing-gum fraîchement mâché. Et s'il avait été persuadé de devoir s'expliquer de cet étrange événement devant une foule de curieux, il fut surpris d'avoir complètement été laissé pour compte par l'attention générale. Et pour cause: juste derrière lui se tenait l'homme qui avait été assis à ses cotés avant que tout ne dégénère, grommelant quelque chose que les oreilles encore en partie assourdies de Nathan ne parvinrent pas à distinguer.

Et avant qu'il ne put même penser à décrocher le moindre mouvement, le poing de l'inconnu vint rencontrer le visage de l'homme ivre qui lui faisait face en une parfaite symbiose de dents et de sang. En quelques secondes, l'ensemble de la salle avait troqué son ambiance morte pour celle d'un combat de chien, tous les clients entourant l'affrontement comme pour présenter une impasse à tout échappatoire. Nathanael devait intervenir, étant donné que personne d'autre ne semblait d'humeur à séparer les deux énergumènes, mais il avait quelque chose d'essentiel à faire s'il souhaitait agir.

Boire.

Non pas pour se donner des forces, mais il savait d'expérience que l'adrénaline n’entraînait jamais rien de bon. Il jeta un regard au bar, vit que le patron n'était plus présent et se pencha vivement par dessus le comptoir pour attraper discrètement une bouteille de gin pratiquement pleine. Il en vida la quasi totalité du contenu avant d'apercevoir du coin de l'oeil une bouteille de téquilla qu'il attrapa de l'autre main. Etant donné qu'il n'était pas des plus résistant face à l'alcool, il espérait bien ne pas avoir à attendre bien longtemps avant d'en sentir les effets.

Satisfait, Nathanael bondit au travers du cercle de clients ivres en jouant des coudes pour passer et aperçut celui qui avait sans aucun doute pris sa défense, debout devant le corps flasque de l'homme ivre. Le premier semblait vouloir en demander encore tandis que le second avait plutôt l'air... Inanimé. Nathan se jeta entre les deux pour défendre son précédent agresseur, non trop conscient de la posture à adopter.

-Ecoute, je pense qu'il a son compte là... Il était juste ivre.

Nathanael n'était pas d'un tempérament à chercher les ennuis, aussi espérait-il pouvoir calmer le jeu. C'était sans compter sur le public qui parut insatisfait de la tournure des événements. Aussitôt que Nathan eut fini de parler, un costaud dans l'assistance grogna et se rua sur son "camarade" qu'il percuta par derrière.

*Ouais, ou alors un nouveau challenger entre dans l'arène...*

Chase ne frapperait pas sur un homme à terre. Pas s'il était inconscient et n'avait fait que lui flanquer un coup de poing dans un bar alors qu'il était ivre. La situation ne valait pas la peine qu'il s'acharne sur le pauvre homme, pourtant il aurait souhaité le voir en meilleur état et bien alerte question de lui taper encore un peu dessus. La poussée incroyable d'adrénaline qu'il avait eue ne semblait pas vouloir redescendre immédiatement, le laissant un peu haletant, les poings serrés, en quête d'un peu de bagarre. Une fois qu'il était lancé, il arrivait à ses instincts de s'emballer et il lui devenait difficile de s'arrêter. D'ailleurs, il sembla revenir un peu à lui et noter ce détail lorsque Nathanael s'interposa. Face à l'homme plus grand, il lui jeta un regard en prenant une profonde inspiration qui semblait avoir pour but de le calmer et lui faire retrouver ses moyens. Ouais. Il avait eu son compte. Il pouvait se calmer maintenant.

Chase avait peur. Chaque fois qu'il s'emportait, la sensation était à la fois grisante et effrayante. Il avait l'impression de liberté un peu sauvage qui émoustillait ses sens, mais l’effroi de causer un désastre, un vrai carnage. Comme cela s'était produit, il y a cinq ans. Il valait mieux pour lui qu'il se calme avant que tout ne dégénère. Il en avait encore la chance et devait la saisir. Hochant brièvement la tête, il allait adresser quelques mots à l'homme, probablement un petit merci pour l'avoir fait se ressaisir, lorsqu'il se sentit brutalement projeté vers l'avant. Le poids, lourd dans son dos, l'envoya directement sur Nathanael, sur lequel il trébucha avant de visiter la table qui céda sous son poids, entraînant à la fois lui et l'autre client toujours inconscient sur le plancher. La foule se déchaînait, semblait vouloir mettre au défi Monsieur ici présent... Il en avait mis un K.O, c'était effectivement le temps pour un autre tour, mais avec un nouvel adversaire... Adversaire que Chase ne mit que peu de temps à détailler, alors qu'il entreprenait de se relever. Grand, costaud. Bonnes épaules. Ça devrait pouvoir se faire...

Les deux hommes se jetèrent l'un sur l'autre dans un concert de grognements. Chase était habile; il en avait déjà cassé plein, des gueules. Il finit par prendre l'avantage, envoyant un coup de genou bien placé dans l'estomac du gars, qui l'entraîna par la suite au sol où ils roulèrent en essayant chacun de dominer l'autre en maintenant sa place au-dessus. Le tout se termina avec Chase, un bras autour du cou de l'homme, à serrer en le maintenant immobile de ses jambes refermées autour de lui. L'homme s'agitait, rien à y faire.

- Abandonne, mon gros.

Bien qu'il ne semblait pas le faire de bon coeur, le costaud finit par envoyer quelques petits coups sur le plancher de son poing, se méritant enfin d'être libéré et d'avoir droit à de grandes goulées d'air. Il ne chercha pas à récidiver, se traînant simplement hors du cercle qui s'était délimité par la foule. Chase se releva alors, les jointures ensanglantées, le coeur battant à tout rompre. Il l'entendait dans ses oreilles, son coeur, rien que les battements rapides qui assourdissait les bruits environnants, les cris des clients... Il eut à peine le temps de s'écrier « À qui le tour ?! » qu'un autre s'avançait vers lui, déterminé à enfin mettre à terre ce drôle d'énergumène qui savait bien se battre. Le combat s'annonçait cette fois plus violent. L'adversaire semblait plus de taille; plus agile, plus fort, mieux entraîné. Il avait l'air de savoir ce qu'il faisait, et non pas être un de ces cons qui se frottaient à lui seulement car ils le surpassaient en taille. La grosseur ne veut rien dire, si on ne sait rien faire avec. Non ce coup-ci, l'atmosphère était intense, le combat sans merci, et Chase ne pensait plus à rien. Les battements de son coeur. Effrénés. Chaque coup porté, chaque douleur qui s'éveillait dans son corps lorsqu'il en recevait un. Il ne la sentait presque plus. Tout semblait lentement s'engourdir. Il perdait la tête, c'était clair. Rendu-là, la seule chose qui pourrait l'arrêter serait le temps ... le temps, ou quelqu'un, quelqu'un d'assez fou pour se jeter sur un être mi-homme mi-bête en furie, et avoir les capacités nécessaires à le maîtriser.

Lors d'un coup particulièrement puissant, le son qui échappa à Chase semblait plus animal que réellement humain. Si l'on observait bien, on pouvait facilement remarquer que peu à peu, ses dents semblaient laisser place à de véritables crocs, une lueur bestiale brillant dans son regard ... Alors qu'il tenait toujours l'homme, sans prévenir, ce fut des griffes qui remplacèrent ses ongles et dans un simple mouvement, il lacéra la chemise du client, laissant des marques bien rouges dans son dos, rien de très profond mais qui devait malgré tout assurément brûler ... L'homme s'éloigna dans l'immédiat de lui alors que Chase le fixait sans ciller, immobile mais dangereux, dangereux dans son imprévisibilité, alors qu'il n'apparaissait plus totalement humain ...

Lorsque son comparse de mésaventure fut "cogné" en traître, Nathanael chercha à le rattraper mais parvint juste à le faire trébucher. Le mutant afficha un sourire crispé en assistant, impuissant, à la chute de l'autre homme, lui s'écrasant sur son précédent adversaire. Le choc fit s'effondrer sur elle-même la table et Nathanael eut un instant d'angoisse. Il avait beau être conscient d'être le jouet du sort, il savait aussi que tout ce qui arrivait était en partie sa faute. S'il n'avait pas cherché à noyer ses problèmes dans l'alcool, s'il n'avait poussé les ennuis à survenir en quittant son appartement... Au moins s'il avait été agoraphobe cela aurait réglé une bonne partie de ses problèmes!
Mais non seulement avait-il bravé les consignes de sécurité qu'il s'était imposé, mais aussi avait-il embarqué dans ses ennuis un innocent qui avait déjà pris plusieurs coups par sa faute. S'il n'avait pas été si réservé à l'idée de se battre et incapable de contrôler ses émotions, peut-être tout aurait-il été déjà fini. Cependant Nathanael devint bien conscient que s’apitoyer sur son sort ne résoudrait absolument rien et émettre des « si » ne lui permettrait absolument pas de se sortir de cette situation.

Le jeune homme détailla la scène rapidement, s’attardant sur son « camarade ». Si le groupe de clients éméchés semblait apprécier ce spectacle et en redemander, il semblait en aller de même pour celui-ci qui exultait dans son combat contre le costaud, tous deux au sol et lui ayant l’avantage. Nathanael ne savait comment réagir, incapable de déterminer s’il devait se lancer dans le combat –bien que l’autre homme n’ait à priori aucunement besoin d’aide- ou se contenter d’assister bêtement au combat comme le reste de l’assemblée. Et ces effets de l’alcool qui ne daignaient toujours pas l’accabler…

Alors que son adversaire abandonnait et qu’il se relevait, prêt pour un autre affrontement (peut-être même trop prêt aux yeux de Nathanael), l’amateur de combat à mains nues se vit faire face à un autre homme, qui accapara toute son attention. Mais de là où se tenait le mutant, il aperçut un éclat lumineux dans la main d’un autre homme dans le public qui s’avançait hors du champ de vision des deux combattants. Sans réfléchir, cette fois-ci, Nathanael s’élança, sous le vacarme du brouhaha des clients et des bruits sourds des coups que s’échangeaient les deux adversaires. Lorsqu’il fut sur lui, le jeune homme comprit que ce qu’il tenait dans la main était un tesson de bouteille, et n’avait aucun doute sur ce qu’il comptait en faire. Et s’il ne pouvait venir en aide à Chase dans son combat, il pouvait tout du moins s’assurer que personne d’autre n’intervenait. Sans y accorder de réflexion, Nathanael se dressa devant l’homme à piètre honneur, qui fut surpris de voir soudainement surgir devant lui quelqu’un le dépassant d’une tête, et lui asséna au visage un violent crochet du droit. L’autre s’effondra lourdement, inconscient, et lâcha le tesson qui tinta sur le bois du sol. En jetant un coup d’œil au visage de l’homme, le jeune de Seattle fut satisfait de voir qu’il était toujours présent, et non même déformé. L’alcool était déjà peut-être plus présent dans son sang qu’il ne l’aurait cru, étouffant l’adrénaline qui aurait dû l’emporter et entraîner la déformation sinon la disparition du faciès de l’homme maintenant inconscient.

C’est alors qu’il l’entendit. Les coups s’était graduellement fait plus violents, Nathan en avait été conscient déjà à l’oreille, mais le cri que poussa Chase à cet instant n’avait plus rien d’humain. Le jeune homme eut tout juste le temps de se retourner pour voir son comparse tenir son adversaire, lorsqu’il lui envoya un coup dans le dos. Mais ce n’était pas un coup de poing, plutôt le genre de coup qu’emploient les créatures comme les loups-garou dans les films d’horreur. Un coup animal. Lorsque l’autre homme recula, de fines trainées écarlates apparurent sur son vêtement, s’élargissant rapidement. Nathanael n’eut aucun doute, l’homme qui lui était venu en aide n’en était plus vraiment un. Celui-ci resta fixe un moment, et le jeune homme vit dans son regard, lorsque celui-ci se tourna un peu plus vers lui, une lueur carnassière qui ne décelait aucune intention louable. En balayant la salle du regard, Nathan comprit que rien ici, et surtout personne, ne serait capable d’arrêter cette créature aux muscles toujours plus saillants. Il jeta un regard hésitant sur le tesson de bouteille alors que l’assistance réalisa enfin ce qui se déroulait et que certains d’entre eux ne commencent à fuir en hurlant. Craignant l’imprévisibilité apparente de l’homme-créature, Nathanael chercha rapidement une solution. Il devait l’empêcher de s’attaquer aux clients. Le tesson ferait peut-être l’affaire, mais le jeune homme sentait la peur et le stress l’envahir en explosant le cocon protecteur qu’avait formé les voiles de l’alcool. Le tesson aurait tôt fait de se volatiliser ou de…
Le jeune homme pesta contre lui-même en réalisant que le seul moyen d’arrêter l’autre était d’employer son pouvoir. Mais il ne pouvait pas l’utiliser contre l’homme lui-même. Il ne survivrait pas à la mort d’une autre personne de sa main. Aussi il décida d’agir autrement.
S’écrasant au sol, Nathan se concentra pour laisser les émotions affluer en lui. Mais l’alcool l’embrouillait et il fut conscient que cela n’était pas assez rapide. La joie ? Non, évidemment. La colère ? Non plus. La peur ?

-Hey ! Par ici !

Il avait hurlé par-dessus la cacophonie générée par la clientèle afin d’attirer l’attention de Chase. Lorsque celui-ci croisa le regard de Nathanael, ce dernier fut frappé de terreur, l’ensemble de son instinct de survie lui ordonnant de fuir.
Il y eut alors un énorme craquement dans l’ensemble du bâtiment, et le jeune homme put voir tous les clients encore présents s’effondrer brutalement, cloués au sol, de même que des chaises autour se fendaient en deux avant d’être elles aussi clouées au sol par une force invisible. Curieusement, le plan de Nathan avait particulièrement bien fonctionné. La gravité de la zone environnante avait été altérée de sorte qu’elle avait été décuplée de manière catastrophique. Suffisamment importante pour empêcher un éléphant de se mettre sur ses pattes.

Le jeune homme sourit victorieusement, le corps cloué au sol dans une flaque de bois, ses vêtements s’envolant graduellement en toutes petites sphères de couleur.

Il n'avait plus d'adversaire. Il lui en fallait. Un, plusieurs. Encore et encore.
Il était trop tard pour Chase maintenant. Sous la forte adrénaline et les émotions qui bouillonnaient en lui, il avait perdu tout contrôle sur ses instincts et son pouvoir avait fait surface sans lui laisser plus de chances. Il avait raté sa seule et unique. Il aurait dû sortir dès le départ, alors que rien n'était encore commencé. Il aurait dû partir après avoir frappé le premier homme pour défendre son compagnon. Tant de dégâts auraient pu être évités. Il aurait dû, mais il était désormais trop tard, le mal était fait, la bête dehors, et aucune possibilité de faire marche arrière. Il était trop tard.

La tension montait alors qu'il restait immobile, son regard balayant la foule qui cherchait désormais à fuir, son souffle rauque et haletant, sa langue passant contre une canine proéminente. Il restait là, menace imprévisible qui semblait prête à sauter sur n'importe qui à tout moment. En quelques instants à peine, il avait instauré la peur, une peur glaciale qui s'insinuait en chaque être encore présent, déclenchant leur instinct de survie et créant une certaine panique générale. Il avait soif de plus de combat. Il voulait frapper, frapper jusqu'à satiété, déchirer, lacérer, il voulait détruire. Il en avait besoin. Ses yeux croisèrent ceux d'un homme, celui-là même qu'il avait sauvé au tout départ. Il fit un pas vers lui, un pas lent mais d'autant plus menaçant. Profitant de son inattention, un courageux individu surgit de nulle part avec une bouteille vide qu'il fracassa contre le mutant; n'obtenant en réponse qu'un grognement à donner froid dans le dos alors que Chase faisait volte-face, apparemment pas trop déstabilisé par le coup pourtant relativement violent. Rien ne pourrait arrêter la bête. Surtout pas si elle venait de se trouver un nouvel adversaire...

Il n'eut pas le temps de porter le moindre coup. Ses mâchoires claquèrent dans le vide, à quelques centimètres du pauvre individu cloué sur place. Son attention venait à nouveau d'être détournée, cette fois par un cri qui le fit violemment réagir. Tout son être semblait désormais fixé sur Nathanael, ses yeux dans les siens avec une intensité surprenante. Dans l'instant suivant, alors que le mutant se laissait tomber au sol, Chase se jetait vers lui. Oh, il n'alla pas loin. En plein milieu de son geste, la pression exercée sur son être augmenta drastiquement, le clouant au sol avant même qu'il n'aie le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Immédiatement, on pu le voir se rebeller. Il chercha à lutter contre la force de gravité, se redressant un peu de peine et de misère, usant de toute sa force en tentant de se mettre à genoux, poussant sur ses avants-bras pressés contre le sol. Il grognait et se débattait, sans réel succès. Même sa mutation, lui conférant pourtant une force décuplée, ne venait pas à bout de cette force mystérieuse qui le maintenait en place. Après de longues minutes de lutte acharnée, Chase n'eut d'autre choix que d'abandonner, s'écrasant contre le plancher et laissant échapper un son plaintif. Son regard se riva sur Nathanael, observant cette démonstration de pouvoir à défaut d'avoir mieux à faire, son souffle se régulant lentement au fur et à mesure qu'il semblait retrouver un semblant de calme. Sa mutation physique restait encore présente mais il semblait s'adoucir au fil du temps qui passait, cette lueur meurtrière s'éteignant dans son regard.

Il ne lâchait plus Nath des yeux, son air passant lentement de furieux à intrigué. Tout n'était plus pareil. Le plancher-même semblait se déformer, les vêtements de même, dans un phénomène incompréhensible de nouvelles parcelles de peau étaient révélées... Décidément, ce bar connaissait une soirée pour le moins... mouvementée!

La sueur perlait sur le front de Nathanael, mais même lorsque la sécrétion salée glissa jusqu’à ses yeux, ce dernier conserva son immobilité. Il avait envie de rire, de pleurer, et de hurler. Son corps tremblait dans la flaque de bois qui avait autrefois été le plancher du bar, et ses yeux fixaient le vide au travers du ballet de bulles de matière colorées. Comment tout ça avait si vite dérapé ? Lui qui faisait toujours en sorte d’être le plus discret, d’éviter le moindre dérapage… Il rageait en son fond contre cette providence qui avait transformé le bar en champ de bataille par sa faute. En partie. Et justement, l’autre homme –si tant était qu’il puisse être considéré humain- qui l’avait aidé à saccager le lieu se tenait non loin de lui, cloué au sol. Le jeune homme le regarda un long moment se débattre contre la toute-puissance de la gravité à laquelle même une force de la nature comme lui devait se plier. Il s’interrogea sur la nature de cet « être » très curieux. Qu’était-il ? Un loup-garou ? Comme dans les films ? Ou bien… Etait-il possible que Nathanael ne soit pas le seul à posséder une malédiction de naissance, contrairement à ce qu’il avait toujours pensé jusque-là ? Il trouvait toutefois étrange de n’avoir jamais croisé d’autres êtres particuliers avant ça. Mais d’un autre côté, si lui faisait tout pour se cacher au regard des autres, il ne doutait pas qu’il en soit de même pour ces possibles semblables.

Mais cet homme était étrange. Tandis que Nathanael pouvait voir les traits de son visage lentement s’adoucir, lui redonnant un aspect graduellement plus humain, ce dernier le fixait d’un regard toujours plus curieux au grand étonnement du jeune homme. Cette réaction était en désaccord absolu avec toute réaction sensée qu’avait pu observer le mutant. L’être humain avait cette particularité d’être capable de nier l’évidence quand celle-ci diverge de ces croyances, et ce jusqu’à l’aveuglement. Il savait qu’en dehors de deux trois marginaux, tous les témoins parviendraient à trouver une explication peut-être bancale mais du moins sensée aux évènements extraordinaires dont ils avaient été, d’une certaine manière, acteurs. Bien sûr, certains autres accepteraient de sitôt l’existence de capacités telles que celle de Nathanael, mais il s’avait devoir s’attendre à de la peur, de la crainte et un sentiment de danger… Certainement pas la curiosité ou une autre expression intriguée qu’arborait alors le loup-garou. Et Nathan sut ; il sut qu’il n’était plus seul, qu’il avait face à lui un de ses semblables. Il voulut hurler de joie, une vague d’espoir s’emparant de lui, un furieux besoin de discuter avec cet être étrange qui pourtant était devenu à ses yeux extrêmement familier. Il se rendit compte que son pouvoir avait lâché son emprise sur la gravité et qu’il pouvait de nouveau se tenir sur ses jambes, ce qu’il fit sans plus attendre. Hagards, le reste des clients l’imita et ceux les plus alertes se ruèrent vers la sortie de l’établissement en ruine, loin de la folie sans limite dont ils avaient été témoins. Mais Nathanael ne se souciait pas d’eux ; il ignorait comme jamais le monde étranger parmi lequel il avait toujours évolué. Il s’approcha d’un pas saccadé vers l’homme-bête, mu par deux émotions qui s’affrontaient en son sein, l’excitation (pas sexuelle, non plus, pervers !) et la peur. Peur de s’être trop vite emporté et s’être mépris sur la nature de l’homme. Mais quelles étaient les chances ?
Alors qu’il se tenait à portée de bras de son compagnon de fortune, une détonation assourdissante retentit et résonna violemment contre les murs branlants du bar.

-Qui est le petit fumier qui a démoli mon bar ?

Visiblement, si le propriétaire du bar s’était absenté jusque-là, c’était pour s’équiper en conséquence. Le cœur de Nathan sauta un battement tandis qu’il observait les derniers autres clients, le visage blême, tous se tourner vers eux deux. Comprenant que leur vie à tous deux était sérieusement compromise en cet instant, Nathanael eut un sourire crispé.

-Aucun moyen que ça se termine ici, j’ai bien trop de questions !

Et pour illustrer son exclamation, il rua tête baissée afin d’éviter des balles imaginaires vers le comptoir derrière lequel se tenait toujours le patron. Priant pour que son pouvoir soit aussi efficace qu’il l’avait été quelques temps plus tôt, il donna un coup de poing –bien plus théâtral que de simplement poser sa main- contre le bois. La réaction fut vive et violente : le bois craqua et gonfla comme si on y avait injecté de l’air sous pression parmi tous les pores. Sans plus réfléchir, il se rua sur Chase qu’il attrapa par son haut de vêtement avant de l’emmener en courant hors du bar et dans la rue sans un regard en arrière.

-Je m’appelle Nathanael, lâcha entre deux souffles le jeune homme.

Lentement mais sûrement, Chase reprenait le contrôle de lui-même. La force de gravité retrouvait lentement son niveau normal, lui laissant ainsi la possibilité de se redresser, ce qu'il fit en se remettant tout d'abord à genoux. Il dû patienter quelques longues secondes, reprenant à la fois son souffle et ses esprits, perturbé de s'être laissé autant emporter. D'habitude, il parvenait à garder le contrôle. Autant que possible, et principalement en publique, il s'assurait que sa mutation ne s'emballe pas et ne fasse pas des siennes, sous peine de causer, comme à cet instant précis ... un certain dégât. Il faut dire que cette fois, il n'était pourtant pas le seul responsable. Cet autre individu y avait joué pour beaucoup, entraînant cependant une destruction plus matérielle alors que Chase, lui, avait abîmé des visages. Et aurait pu faire bien pire s'il n'avait pas été arrêté à temps. En un sens, il comprenait bien qu'il devait une fière chandelle à cet homme.

Une fois debout sur ses deux pieds, il eut une vue plus large sur l'ampleur du dégât. La tête lui tournait encore un peu de la brutale explosion de ses émotions et bien franchement, pour l'instant, il ne semblait pas très perturbé par la démolition qu'ils avaient faite dans l'endroit. Il finit plutôt par fixer son regard sur l'être mystérieux qui s'avançait vers lui sans démontrer une seule once de peur face à la demi-créature qu'il était encore quelques instants auparavant. Très sincèrement, Chase n'espérait jamais une telle réaction face à sa mutation. Plus souvent qu'autrement, elle inspirait la peur à première vue. Il est vrai que personne n'aimerait se retrouver face à face avec la bête sauvage qu'il pouvait devenir. Pourtant, l'inconnu semblait mettre ce détail de côté, ses pas le menant droit vers Chase sans que celui-ci ne fasse mine de s'éloigner. La première chose à enfin le faire broncher fut le bruit assourdissant qui résonna ensuite, suivit des paroles du fameux propriétaire, disparu depuis le début de l'altercation.

Balayant les alentours du regard, Chase constata qu'ils étaient les cibles de spectateurs muets qui, dans l'affolement général, n'avaient toujours pas fui les yeux. Il semblait impossible de raisonner qui que ce soit dans de telles circonstances. Un 'C'était un accident' ne les sortirait pas de leur fâcheuse posture. Non, décidément, la meilleure option semblait la fuite, la fuite mais peut-être avant tout leur fallait-il une porte de sortie, une chance que leur offrit Nathanael avec une superbe démonstration de son pouvoir. Chase n'avait pu que s'écarter par réflexe et observer la courte scène se dérouler devant ses yeux où se lisait avant tout de la surprise. Ses réflexes ne l'avaient assurément pas abandonné, aussi suivit-il Nathan dans l'instant même, lorsque le jeune homme se saisit de son vêtement, ne le lâchant pas d'une semelle dans leur fuite hors de ce bâtiment et aussi loin que leurs jambes les porteraient; jusqu'à ce qu'ils soient en sécurité à nouveau. Captant quelques mots venant de son partenaire, il lui jeta un regard en biais, ayant une vague seconde d'hésitation avant de lâcher:

- Barbie.

Pendant quelques secondes, le silence ne fut brisé que par leurs bruits de pas et leurs respirations haletantes. Puis, comme si le tout lui semblait ridicule après réflexion, il ajouta:

- Chase, en fait. Mais on m'appelle Barbie.

Il ralentit enfin lorsqu'il jugea qu'ils s'étaient assez éloignés pour être hors de danger. Il se pencha alors et s'appuya sur ses genoux afin de reprendre son souffle un instant, se redressant par la suite et se détournant pour jeter un coup d'oeil à l'horizon, de là où ils venaient. Pas un bruit, pas un mouvement. Il aurait bien repris son chemin, s'il n'avait pas fait face à un individu qui ... si cet homme n'avait pas été un mutant. Un être probablement empli de questions, qui pourrait profiter d'un instant en compagnie de l'un des siens. Au-delà de ses habitudes solitaires sommeillait en lui un instinct protecteur. Il ne pouvait pas abandonner Nathanael là sans plus de façon, du moins pas avant d'avoir répondu aux questions qui, probablement, lui brûlaient les lèvres.

Barbie. Cela avait tout l'air d'une blague aux oreilles de Nathanael. La pression, l'angoisse et la tension des événements précédents s'étiolant progressivement, le jeune homme rit franchement, d'un rire incontrôlé que le bonheur d'avoir survécu une fois de plus ne faisait qu'accentuer. Il tenta tant bien que mal de se calmer lorsqu'il entendit les grognements de douleur qui s'échappaient de ses lèvres. Sa "carrière" de non sportif le rattrapait et tordait ses hoquets de rire en gémissements.
Nathan suivit d'une oreille distraite ce que lui dit le dénommé Barbie, ou plutôt Chase comme il parvint à comprendre, les poumons en feu et le sang battant ses tympans.
Comme pour répondre à la douleur qui déchirait -oui, déchirer était le terme approprié selon lui- Nathanael, Chase ralentit progressivement puis se pencha en avant pour reprendre son souffle. Le mutant quant à lui se laissa tomber contre le mur de briques sitôt arrêté. Il respira un moment comme un damné, écrasé contre le mur qui progressivement épousait la forme du jeune homme.<

-Tu... Comme moi... Je suis...

Comprenant qu'il ne parvenait pas à s'exprimer, Nathan inspira longuement pendant une dizaine de secondes, le regard rivé au sol. Trop de questions lui brouillaient sa capacité de réflexion et il devait mettre en ordre ses pensées s'il voulait pouvoir se faire comprendre. Il n'était pas seul? Était-ce une malédiction? Des expériences faîtes sur un groupe d'enfant? Y en avait-il beaucoup d'autres comme lui? Qui? Quoi? Comment? Quand?

-Qu'est ce que tu... Commença le jeune homme en hésitant. Tu es comme moi c'est ça?

Nathanael cherchait ses mots, ne sachant trop comment s'y prendre. Peut-être que lui même était la première personne que Chase rencontrait à être aussi maudite. Peut-être même que celui-ci n'était absolument pas comme lui. Un loup-garou n'était plus une idée si folle lorsqu'on considérait ce que pouvait faire Nathan. Et ce dernier n'avait aucune idée de ce qu'il ferait s'il advenait qu'en fin de compte il était bien seul. Seul et sans jamais plus personne à le comprendre, à toujours devoir fuir ceux qui avaient peur, à raison cependant, de lui.

-Il y en a d'autres?

Avant même d'avoir entendu la réponse de Chase, Nathan avait lâché ces quelques mots comme on se raccroche à un fébrile espoir. Il commencé à réaliser que ce qu'il avait toujours refusé d'accepter lui devenait pesamment nécessaire. De l'aide.
Il détailla un instant du regard l'autre homme, un peu plus petit que lui. Il avait l'aspect du combattant de rue, prêt pour la moindre occasion de se défouler sur quiconque l'aurait cherché. Curieusement Nathan considéra que la capacité surhumaine de Chase lui convenait particulièrement.
Nathanael secoua discrètement la tête et fit de nouveau converger ses pensées vers la multitude de questions qui lui martelait l'esprit. Une particulièrement semblait lui démanger la curiosité, alors qu'il conservait le regard posé sur son compagnon de fortune.

-Euuuh... Pourquoi Barbie?

Si Chase avait du s'attendre à des questions, comme l'avait suggéré son expression plus tôt, celle là n'était probablement pas la plus attendue de la part d'un être anormal à sa première rencontre avec un de ses semblables. Mais Nathanael, même avant de découvrir qu'il pouvait altérer la réalité, avait toujours été quelqu'un d'étrange, comme s'il avait été conçu pour différer du moule initial, comme il aimait l'appeler, duquel sortait cette masse indifférenciée qu'était la population humaine. Cette rencontre était tout ce qui pouvait s'éloigner le plus d'une rencontre anodine. S'il osait y mettre suffisamment d'espoir, peut-être que cela signifiait la fin de son monde solitaire et oppressant.

Comme pour souligner le sentiment nouveau de Nathan, son don réagit et l'air autour de lui se mit à luire faiblement, l'entourant d'un faible halo argenté qu'il ne pouvait contrôler ni même remarquer au premier coup d'oeil. Ce qui ne serait pas le cas de quiconque porterait le regard dans sa direction, dans la nuit ponctuait de point lumineux par les lampadaires.

Chase avait l'habitude des choses étranges. Il avait lui-même la capacité de partiellement changer de forme humaine à animale lorsque sa mutation faisait des siennes; il aurait été fou de trouver cela normal, ne serais-ce qu'un peu. Pourtant, alors qu'il observait l'autre individu s'enfoncer tranquillement dans le mur contre lequel il était assit, le matériau se déformant comme s'il n'eut pas s'agit de brique et de pierre, de béton ou de bois... Tout semblant prendre une étrange consistance à son toucher et se mouler à la forme précise de la silhouette du jeune homme... Chase ne pu s'empêcher de trouver ça franchement bizarre. Ce n'est pas car on est au courant pour les mutants qu'on a l'habitude de voir de tels phénomènes se produire sous nos yeux tous les jours.

Il s'arracha à cette drôle de vision pour plutôt reporter son attention à l'horizon, la respiration toujours un peu sifflante. Il semblait définitivement en meilleure condition que l'autre, Nathanael, qui avait toujours peine à respirer et essayait de glisser quelques mots par-dessus le tas, n'aidant pas trop à son cas. Chase ignorait délibérément les premières tentatives, ne cherchant pas à compléter par lui-même les quelques mots prononcés en phrases constructives. Il attendit simplement que Nathan lui pose la question plus directement. Première question à laquelle il n'eut même pas le temps de répondre, avant qu'une suivante ne surgisse. En fait, on aurait presque dit que le mutant n'attendait pas vraiment de réponse, et pourtant, un simple regard en coin confirma à Chase que le jeune homme semblait brûlant d'espoir, d'attente, appréhendant les mots qui lui seraient offerts en réponse.

Enfouissant ses mains dans ses poches, Chase laissa un court soupir franchir ses lèvres. Il n'avait rien contre le mutant à proprement parler, mais trop de proximité finissait souvent pas l'exaspérer. Il était mieux en solitaire. Ou peut-être étais-ce simplement ce qu'il souhaitait se faire croire. En quelque part, il commençait à souhaiter que la période de questions ne s'éterniserait pas; encore faudrait-il que le sujet ne vire pas vers le personnel, comme la dernière question venait de le faire. Daignant enfin se retourner pour faire à nouveau face à Nathan, l'homme se racla la gorge. Pourtant, toute tentative d'enfin ouvrir la bouche et lui offrir quelques mots fut abruptement stoppée par la vision qui s'offrait à lui : une faible lueur couleur argent scintillant autour de l'homme, enveloppant sa silhouette dans la noirceur de la nuit. Un phénomène à la fois incompréhensible et intriguant, très certainement lié à ce pouvoir si spécial qu'avait le mutant, mais qui faisait peu de sens aux yeux de Chase. Une expression d'une émotion, peut-être. Il aurait été difficile de dire. Passant une main sur son visage, frottant sa mâchoire un instant comme s'il se donnait le temps de réfléchir à ce qu'il allait dire, Chase finit par reprendre:

- Je sais que ça peut paraître effrayant. Je sais ce que c'est. On est dans le même bateau, toi et moi. Différents. Spéciaux à notre façon. Faut pas te croire tout seul, oh crois-moi il y en a d'autres. Probablement plus que tu ne pourrais te l'imaginer. Des dizaines. Des centaines. Qui sait ? Même moi je sais pas.

Il laissa son regard errer vers ses pieds un bref instant, avant de le relever et planter ses yeux bleus dans ceux de Nathan avec une toute nouvelle intensité.

- Le surnom remonte à quelques années, c'est ... C'est juste des conneries au boulot, c'est tout. Faut croire que c'est resté plus que je ne m'y serais attendu. Maintenant ils m'appellent juste Barbie. J'parie que certains savent même pas mon prénom.

Ce n'est pas complètement faux, après tout.
Pas totalement vrai, mais mentir partiellement était tout de même mieux que de complètement lui raconter des salades. De toute façon, toute vérité n'est pas bonne à dire. Pas comme si la source de ce surnom était d'une importance capitale pour l'autre mutant, il goberait l'explication et passerait à autre chose, voilà tout. Ce pourquoi Barbie esquissa ce qui simblait être un sourire, avant de s'adosser au mur, ce même mur contre lequel était assit Nathan.