« Madame Williams ? »La voix d’un médecin de grande stature arracha la dénommée madame Williams de son apathie. Cette dernière, coiffée d’une chevelure blonde arrangée en un charmant chignon, portait un tailleur du plus bel effet et sur lequel elle maintenant ses mains posées. Elle releva sa tête en direction du docteur tout en opinant du chef.
« Oui ? »« Le jeune garçon vient de se réveiller. Si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre… » « Avec plaisir, docteur ! »La jeune femme suivit l’homme de science, sous la résonnance de ses talons claquant sur le sol à chacun de ses pas. Derrière sa paire de lunettes, la jeune trentenaire affichait un visage à la fois bienveillant et souriant. Un fin rictus semblait indélogeable du coin de ses lèvres, qu’importe les circonstances. Elle fut arrêtée dans sa procession par la main du docteur, juste en face de la chambre du jeune patient.
« Je ne peux vous accorder que quelques minutes, madame. Il est encore faible… »« Je comprends, docteur. Juste le temps de nouer un premier contact avec lui, docteur. Je ne serai pas longue. »Un hochement de tête de la part du praticien cette fois-ci, et la dénommée Williams entra dans la chambre, prenant soin de refermer précautionneusement la porte derrière elle.
« Scott ? »Face à elle, un jeune garçon de sept ou huit ans, tout au plus. Ce dernier avait les yeux semi-ouverts et voyait sa tignasse châtain être garnie d’un solide bandage faisant le tour de son crâne. Il fronça les sourcils tout en relevant une main à hauteur de son crâne. Ce dernier lui faisait un mal de chien. Il y avait une douleur, une douleur forte, omniprésente, comme si tout son cerveau ne cessait de passer sous un puissant rouleau compresseur.
« Vous êtes qui ? Et qu’est-ce que je fais ici ? »Demanda le petit garçon, incapable de se rappeler, incapable de se souvenir. C’était étrange : il connaissait son nom, son prénom. Il se rappelait qu’il avait une famille, qu’il avait des parents, un frère. Il se souvenait même de sa ville natale mais tout le reste était mystérieux. Tout le reste était flou !
« Où sont mes parents ? »Renchérit-il aussitôt, laissant trahir une certaine panique dans sa jeune voix enfantine pendant que son ainée prit un siège avant de s’asseoir, dans le plus grand des calmes, face au lit de l’enfant.
« Calme-toi, Scott. Toutes tes questions trouveront des réponses, mais ce ne sera pas facile à entendre, je le crains. »« Pourquoi ? »« Permets-moi de me présenter, Scott. Je suis madame Williams. Je travaille au sein de l’orphelinat d’Omaha. Et, malheureusement, je suis chargée de m’occuper de toi désormais… »Scott secoua vivement sa petite tête de droite à gauche tout en criant à plusieurs reprises des ‘non’ bien audibles et bien sentis.
« Non, je dois pas aller à l’orphelinat ! Mes parents vont venir me chercher avec mon frère ! J’irai pas à l’orphelinat ! »La trentenaire replaça, d’un petit geste, sa paire de lunettes sur l’arrête de son nez. Elle se mordilla finement les lèvres, arborant un visage soudainement plus triste et compatissant envers le jeune garçon. Elle n’avait d’autres choix que de lui exposer les faits.
« Scott… Il faut que tu saches que… Il y a eu un accident. Tu as dormi longtemps avant de te réveiller. Mais, malheureusement, je dois te dire que tes parents et ton frère n’ont pas survécus. »« QUOI ?! »Scott se sent tétanisé, paralysé, en même temps qu’un mélange de tristesse et de rage se manifeste dans les tréfonds de sa gorge. Il n’est pas encore prêt à croire cette révélation. Il est trop jeune pour accepter cette réalité. Le petit garçon laisse des larmes naître le long de ses yeux pendant qu’il sert rageusement les dents.
« Non… NON ! VOUS MENTEZ ! »« Je suis désolée Scott… »___________________________________________________
« Et tu comptes aller où, Scott ? »« N’importe où ! Mais je ne reste plus ici ! »Le visage fermé et décidé, Scott terminait de nouer la tirette de son sac de voyage. Il était hors de question qu’il reste encore une année de plus, un mois de plus, une journée de plus au sein de ce véritable enfer. Jamais il n’avait voulu de l’orphelinat. Jamais il n’avait voulu atterrir ici… Et encore moins voulait-il demeurer emprisonné au cœur de cette boite de Pandore !
« Ecoute, Scott… Parles-en au docteur Milbury. Je suis sûr qu’il t’écoutera et que ça s’arrangera ! »Désormais vêtu d’une paire de lunettes aux verres rougeâtres, le jeune adolescent de quinze ans secoua la tête tout en repoussant la main de son main, précédemment posée sur son épaule.
« Qu’est-ce qui s’arrangera James ? Tu crois que j’ai vraiment envie de passer le restant de mon adolescence ici à lui servir de cobaye pour ses expériences sordides ? »« Il fait ça pour notre bien, Scott ! »« T’en es vraiment sûr ? »L’allure droite et fière de Scott en imposait. Il n’était certainement pas le plus baraqué de tous les adolescents et autres jeunes enfants coincés dans cet orphelinat. Mais il avait ses propres convictions. Et, une fois qu’il s’était mis une idée en tête, il était plus que difficile, voire impossible, de la lui retirer. De toute façon, que pouvait-il risquer dehors ? D’être seul ? De se sentir abandonné, sans amis, sans amour et sans véritable bonheur ? C’était déjà le cas ici-même ! Cet endroit, d’avantage une espèce de centre de recherches secrets qu’un véritable orphelinat, était pire qu’un enfer pour lui. Qu’importe ce qui pouvait l’attendre dehors, il se sentait l’envie et la force de pouvoir y survivre ! A l’instar de James, son compagnon de chambrée qui demeurait pleinement convertit et soumis aux pseudos nobles causes scientifiques envers lesquelles il servait, tout comme Scott, de cobaye. Face à l’absence de réaction et de propos de son ‘ami’, Scott soupira et attrapa son sac.
« Laisse tomber… »Il s’avança jusqu’à la porte de la chambre. La main se posa sur la poignée, il y eut comme une hésitation. Scott n’avait pas le fond mauvais et, même s’il ne le reconnaitrait pas ouvertement, il se sentait presque déçu que James ne se décide pas à le suivre, se contentant de véhiculer et faire échos aux propos presque sectaire du directeur de ‘l’orphelinat’. Il baissa la tête et, au bout de quelques secondes, la tourna en direction de son camarade.
« Ca n’a rien de personnel, James. Et j’espère que tu t’en sortiras. Bonne chance ! »« C’est à toi que je devrais dire bonne chance… En espérant que tu ne te fasses pas tuer ! »Scott eut un sourire en coin. Les propos de son ‘ami’ l’amusèrent presque. Comme s’il pouvait réellement ‘mourir’ dehors. Ce n’est pas parce qu’on est orphelin qu’on est totalement apte à vivre, à survivre. C’était même une qualité en la matière pour le jeune Summers. Ces paroles furent leur dernier échange. Scott claqua la porte derrière lui et s’évada de cet orphelinat, de ce centre. Adieu vie de soumission et d’emprisonnement et bonjour la liberté ! Une odeur, un parfum, un trésor et une saveur qui lui semblait particulièrement exaltante. Il se sentait le loisir de se fondre dans la masse et de ne plus être qu’un simple orphelin dont aucun couple ne veut. Il pourrait devenir un jeune homme parmi tant d’autres. Un jeune homme ayant le droit d’exister et de tout simplement profiter de tout ce qui l’entourait. Bonjour bonheur et découverte ! Aucune entrave imaginable ne pourrait arrêter le jeune Summers dans son nouvel apprentissage du monde !
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« Hey ! Un peu facile de s’en prendre à cinq contre deux, non ?! »C’était indéniable. Scott venait de passer près d’un an dans la rue, à barouder, à voyager et à survivre comme il le pouvait. Néanmoins, s’il y a bien un trait de caractère qui se distinguait du reste, c’est qu’il ne supportait pas les injustices ! Paradoxe pour un adolescent de seize ans n’hésitant pas à voler ou à arnaquer pour survivre. Mais ce qu’il faisait n’était pas de grande importance. Il se contentait toujours d’un simple petit magot suffisant pour obtenir la nourriture dont il avait besoin, au même titre que l’argent. A défaut de trouver de petits jobs, c’était son unique solution. Mais, en dépit de ça, voir une agression l’enrageait. Plus particulièrement lorsqu’il s’agissait de gros bras s’en prenant à des plus petits. Ou bien à des individus venus en nombre supérieur, tel que ce soir, pour agresser des personnes plus faibles et démunies.
« C’est qui cette demi-portion ? »La voix de Scott avait directement fait réagir les malabars en présence sur cette espèce de chantier. Les cinq visages se retournèrent vers lui. Tous dans la trentaine, cheveux coiffés à la gomina, tous avec une moustache pour la plupart. Le plus frêle de la bande, semblant en être paradoxalement le chef, donna un signe de tête à deux de ses hommes dans la direction de l’adolescent. Ces derniers n’attendirent pas une seconde de plus pour s’avancer vers leur visiteur.
« On est trop lâche pour faire du combat loyal en un contre un ? »Sous cette marque de provocation, les deux brutes sourirent de manière carnassière.
« Il en a dans le ventre le binoclard ! »« Je suis sûr qu’on lui fait cracher ses dents en moins de deux ! »« Voyons ça ! »Scott relâcha son sachet rempli de ses petits larcins du jour, le laissant tombé au sol. Ses poings se serrèrent et il se mit dans une espèce de posture défensive. Hargneux, notre adolescent voulu jouer les héros en frappant le premier. Mais grand mal lui en prit ! Il ne fallut pas longtemps pour qu’il se retrouve soulever du sol, coincé entre les bras d’une brute, positionnée dans son dos. Alors que, face à lui, se trouvait le complice qui attrapa les lunettes du jeune homme.
« Sympa tes loupes, le binoclard… Tu permets que je les prenne ? On dira que ce sera ta contribution dans nos petites affaires ! »« Non, non ! Lâchez ça et rendez les-moi ! »Scott se tortillait comme il pouvait. Inquiet de retrouver les sensations de brûlures et les terribles maux de tête qu’il avait connu avant de recevoir cette paire de lunettes.
« Oh regarde comme il s’agite… Elles ont une valeur sentimentale peut-être ? »Il laissa tomber volontairement la paire de lunettes par terre. Un sourire bien gras. D’un geste vif et sec, il les écrasa du pied, n’en laissant que des petits morceaux de verres épars.
« Dommage… ! »Il fit un signe de tête à son ami, entravant toujours Scott, afin de le laisser tomber par terre à son tour. Summers eut à peine le temps de toucher le sol qu’il se retrouva rué de coups en tout genre. Un véritable passage à tabac pour s’être mêlé d’affaires qui ne le regardait tout simplement pas ! Coups de pieds, coups de poings… Douleur, colère, désespoir et rage… Si tout son corps accusait la douleur, c’est sa tête qui le lança plus vivement que le reste. Une forme de migraine intense et violente envahit son cerveau. Il se mit à crier.
« AAAAAAAAAHHHHHH… MES YEUX… MES YEUUUUUXXXXX !!! »Sous cette hystérie soudaine, les deux brutes se reculèrent du garnement. Scott avait les yeux littéralement en feu. Ses mains étaient posés sur son regard pendant qu’il ne cessait d’hurler de douleur. Un voile rougeoyant sembla entouré ses mains, sembla partir de son visage. Un nouveau cri puissant. Ses mains se retirent. Ses paupières s’ouvrent et une violente décharge toute aussi rougeoyante s’abat sur une grue surplombant la scène de cette double agression.
« Allez, on dégage !!! »La bande des brutes, alertée par la scène et les bruits s’y rattachant, prirent aussitôt la poudre d’escampette alors que, de leur côté, les deux personnes également agressées virent la moitié d’une grue tombée du ciel dans leur direction.
« AAAAAAAAARRRRRRRRRRHHHHHHHHHH !!! »Un autre cri de rage, presque animal, quitta les lèvres de Scott pendant qu’il rouvrit les yeux. Une nouvelle décharge violente qui envoya valser la partie de la grue en chute libre. Le duo d’individus était sauvé. Scott, quant à lui, demeurait genoux au sol. La douleur de l’agression n’avait vraiment aucune importance face à ce qu’il venait de vivre, face à ce qu’il venait de connaître mais, et surtout, de découvrir…
« Frank, regarde ! »Les deux hommes se relevèrent et s’approchèrent de l’adolescent.
« C’est qu’un gamin… Et t’as vu ce qu’il a fait ?! »« Non, ce n’est pas un gamin… »Secoua-t-il la tête négativement pendant que Scott maintenant les mains à hauteur de ses yeux. Il n’osait pas relever la tête. Il n’osait pas ouvrir les paupières. Il avait peur, il avait trop peur de ce qu’il pouvait faire… De ce qu’il pouvait être… Néanmoins, d’une voix imbibée de sanglots, il eut quelques paroles suppliantes à l’égard du duo qu’il venait de sauver.
« Je… Je sais pas ce qui m’arrive… Aidez-moi… »« T’en fait pas, on va t’aider… »« Ouais, on va te montrer comment on aide les gens de ton espèce ! »Scott fut de nouveau propulsé au sol dans une ruée de coups. Des insultes pleuvèrent. Monstre, animal, danger public, assassin et j’en passe. Il fallut attendre l’arrivée d’autres quidams alertés par la scène pour que le mot ‘mutant’ résonne au cœur de l’assemblée. Scott ne comprenait pas ce qu’on lui voulait, ni même pourquoi autant de violence et de haine à son encontre. Acculé par la violence de la foule, il finit par tourner sa tête vers le ciel et ouvrir une nouvelle fois les yeux. Sous les rayons brusques et soudains qui se dégagèrent de ses yeux, la foule recula. Il avait l’opportunité de fuir et de partir se cacher. La vie de rêve et de liberté que Scott avait imaginée venait subitement de basculer en une vie de fuite et de danger. Il n’était pas un être humain normal… Il n’était pas comme les autres… Et il ne savait pas quoi faire pour refuser cette ‘malédiction’ qu’il n’avait pas souhaité…