Je frotte mes mains l'une contre l'autre, sentant la soie de l'intérieur de mes gants, le cuir de l'extérieur crisser. Qu'ai-je à cacher, là-dessous, alors qu'il fait si chaud ? Ma monstruosité. Je ne suis pas comme vous, humains - non, je suis un monstre. Je suis l'ombre dans vos coeurs, je suis la noirceur d'encre qui vous tâche.

Le feu des projecteurs, la passion des planches. Jouer des rôles, un roi, un garde, un amoureux transi, des rôles où je ne suis jamais moi, où le mensonge et l'hypocrisie sont l'apanages des forts. Charmer, faire vibrer, séduire, j'ai toujours su faire ça. Les yeux doux, les sourires élégants, les airs angéliques, pour avoir ce que je désirais. Ambitieux jusqu'au bout des doigts, je veux et j'exige, et obtiens toujours ce que j'attends. On ne me fait pas attendre, on ne me dit pas non - je ne laisse aucun choix, je suis intransigeant.

Et même quand je me mets à suer cette substance noire, je ne perds pas mes moyens. Je cache ma peur. Je ne m'effondre pas - car je suis fort. Je compte sur moi, et moi uniquement - je sais que je suis un monstre. Mais les autres ne le savent pas ; ce qu'ils ne savent pas ne peut pas les gêner. Et j'apprends. J'ai toujours appris rapidement - je possède une intelligence proche de la ruse animale, instinctive presque, qui fait que même sans grande culture, je peux paraître savant.

Je contrôle, et j'apprends. Je joue de tous mes atouts - j'ai une tonne d'as dans les manches. Je joue avec le feu, et je perds l'humanité de mes doigts : j'invente des excuses. Mais déjà à cette époque, où je tourne dans des petites séries, mes parents n'en ont que faire tant que je rapporte de quoi vivre. Je mets des gants, et tout le monde croit que j'ai une maladie, une sorte de rhumatismes. Bande de crédules. Ca me va tout à fait. Et je me joue d'eux, comme je joue dans la vie. Avec amusement. J'avance, pas après pas, vers la gloire et le succès.

La picole, les fêtes, les femmes - et les hommes. Tout cela dure un temps - mais assez long pour que je m'en lasse. Le temps passe, cruel maître, montre en main, je ne gagnerais pas cette course-là. Je déménage - bonjour New-York. Ici, on m'accoste pour me demander des autographes. Je mets plus de filles dans mon lit qu'il doit y en avoir dans mon ancienne école. Je fais une pause - j'ai mis assez d'argent de côté pour ça. Et je compte bien m'amuse un peu - New-York est grande, New-York est belle. New-York est mutante.

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