Les cimetières. Souvent dépeint comme des endroits tantôt effrayants, tantôt étant le summum d’un romantisme bidon dont se servaient les mauvais écrivains, rien n’aurait probablement pousser qui que ce soit à décrire de tels lieux comme particulièrement heureux, particulièrement brillant, particulièrement ensoleillés. Ils étaient, après tout, souvent imaginés la nuit – comme si la lueur des étoiles et les couleurs moins pâles et ostentatoires de la lune face au soleil étaient les seuls témoins dignes d’un tel paysage, d’une beauté si morbide, si dure et douce à la fois. Il y avait quelque chose d’infiniment cruel et d’infiniment clément dans la mort, à un point tel que Viondra avait de très fortes suspicions qui supposaient qu’une notion n’allait pas sans l’autre et qu’elles n’étaient que continuité. Le clément était cruel, et le cruel était clément. N’était-ce pas là la définition implicite de pitié ou de la plus politiquement correcte compassion ? Deux faces de la même pièce. Tout n’était, enfin de compte, que l’autre face d’une pièce de monnaie.

« Toutes mes plus sincères condoléances, Madame Sharp. Nous regretterons tous Frank à nos prochains meetings directionnels. » La voix doucereuse de Gallagher, un des associés de son défunt époux et un des actionnaires minoritaires de Sharp Incorporated la tira de ses pensées, et Viondra Morrigan Sharp tourna alors son visage masqué par d’épaisses lunettes de soleil à la monture noire vers l’homme dont le front commençait à se dégarnir.

Personne n’aimait les enterrements en plein soleil. Cela ruinait l’hypocrite et prétendue tristesse des personnes y assistant. Viondra, elle, avait précisément choisit cette date en espérant qu’il y fasse beau. Peu avant le quatre juillet, histoire que les Etats-Unis volent rapidement la vedette à l’homme dans le cercueil que l’on enterrait. Et puis, bien sûr, porter des lunettes de soleil était infiniment pratique pour masquer que l’on ne pleurait pas alors que l’homme que l’on était supposée aimer jusqu’à ce que la mort nous sépare était six-pieds sous terre. La mort les avait séparer. Viondra ne savait pas si c’était pas clémence ou cruauté et si l’acte était un acte de clémence ou cruauté à son égard ou celle de Francis.

Non. Lui rappela une petite-voix dans les abysses de son esprit. Ce n’est pas la mort qui a été cruelle avec Francis, mais toi.

Viondra dût réprimer un sourire à la pensée emplie de vérité. Elle n’avait pas voulu le tuer, pas vraiment, et ce n’était pas elle qui lui avait acheté un revolver et l’avait forcer à le coller contre sa tempe. Le pauvre homme était devenu fou. Et cela, par contre, la rousse n’y était pas totalement étrangère. C’était mieux si il était mort – Moins pratique, bien sûr. Elle devrait gagner le respect des actionnaires, se faire un nom hors de l’hombre du splendide et immensément riche Francis Sharp. Ses prochaines actions, quant bien même étaient-elles des mensonges, allaient être décisives. Elle ne pouvait plus se cacher derrière l’ombre d’un homme, à présent, contrairement à ce que sa mère et la religion familiale auraient souhaité. C’était… grisant. Non. Stimulant.
« J’apprécie vos sentiments, Monsieur Gallagher. Cela dit, tout n’est pas perdu, puisque vous me verrez moi aux meetings directionnels. » L’homme retînt un ricanement qu’il masqua mal. Il l’en croyait incapable. Cette fois-ci, les lèvres rouges de Viondra s’étirèrent en un rictus glacial, malveillant. « Si vos doutes à mon sujet vous terrassent, je peux vous assurer que je me ferais un plaisir de racheter vos actions au prix du marché. Particulièrement sachant que Francis m’a désignée comme héritière principale. » Bon, foncièrement naïf Francis qui avait mangé dans sa main alors qu’il n’était qu’un pauvre conférencié américain perdu sur le campus d’Oxford.

Gallagher fronça les sourcils.

« Mes condoléances, Madame Sharp. »
« Cela, vous l’avez déjà dit. »
A cour de réponse valable, l’homme ouvrit et ferma la bouche sans emmètre le moindre son avant de soulever brièvement son chapeau en guise d’au revoir et de tourner les talons.

Les cimetières étaient peut-être le terrain de sombres fantasmes, mais Viondra Sharp préférait nettement les enterrements lorsqu’ils étaient ensoleillés. Il serait presque possible de croire que ce genre d’événement était réellement, profondément triste, lorsque ce n’était pas le cas.