Le monde, une sphère bien étonnante et effrayante. Tout semblait changer à chaque seconde, rien n'était éternel, seulement troublant et différent. Le monde ne cessait d'étonner, de provoquer des réactions diverses. Le monde était blessé et confus, tout comme Emily. Oh bien sûr, elle ne prétendait pas avoir subi tout le mal subi par le monde, non bien au contraire. Mais elle se sentait blessée et confuse, elle aussi. Etait-ce les vestiges de la vie d'une solitaire ou bien les conséquences logiques de sa mutation? Mutation... un mot qui devait effrayer Emily tout autant qu'il effrayerait le monde. La mutation n'était pas encore devenu un fait d'actualité, mais Emily savait que cela ne tarderait plus. Appuyée contre une étagère de la bibliothèque dans laquelle travaillait, elle passait distraitement le bout de ses doigts sur une page d'un livre concernant le fonctionnement du corps humain. Des années de recherche, de doute et de peur, des années passées à dissimuler son pouvoir et à vivre dans l'inquiétude constante, des années à se demander "pourquoi?", puis "qu'est-ce que je suis?" et enfin "qui suis-je?". Née à l'aube de la Deuxième Guerre Mondiale, elle avait toujours vécu dans l'ombre de peurs diverses, et dans l'attente d'un monde meilleur, ou bien totalement détruit. Et au fond, Emily se disait qu'avec l'arrivée de la mutation, le monde serait changé à jamais, et non pour le meilleur. Pourtant, elle voulait espérer qu'un jour, les mutants et les humains pourraient cohabiter et s'entraider. Non, les mutants n'étaient ni des animaux ni des machines de guerre. Ils n'étaient pas différents des humains, ils étaient juste des versions améliorées de l'être humain comme elle aimait le penser.

Emily secoua légèrement sa tête et ferma son livre avec un peu plus de brutalité qu'elle ne l'aurait voulu. Le bruit attira le regard de quelques personnes qui cherchaient de quoi lire et qui la regardèrent à travers les étagères. Elle déglutit difficilement et marmonna quelques excuses avant de reposer le livre et de parcourir la bibliothèque à la recherche d'une autre lecture. Travailler dans une bibliothèque aussi grande que celle de New York avait ses avantages, en particulier celui de pouvoir faire des recherches dans n'importe quel domaine avec une aisance incroyable. Il n'y avait plus de limites. La jeune femme s'empara d'une oeuvre traitant des transformations génétiques et des maladies avant de le reposer. Non, la mutation n'était pas une maladie. Elle n'était pas malade. Elle avait passé des heures dans son appartement, à quelques rues d'ici, à chercher la cause de ce pouvoir, à tenter de comprendre. En tant qu'être humain, la mutation était déjà très difficile à comprendre mais allez expliquer cela à une littéraire qui n'avait jamais rien compris dans le domaine scientifique. Oui, c'était affreusement cliché une littéraire effrayée par les sciences mais durant des mois, elle avait fait des efforts considérables et s'était quelque peu réconciliée avec quelques aspects scientifiques mais rien de bien admirable.

Elle sentit un regard posé sur elle et se tourna légèrement. Un homme, qui devait croire qu'il ressemblait à un dieu et que de ce fait toutes les femmes devaient lui dire seulement "oui", s'était mis à la fixer, avec un sourire en coin. Ce genre d'homme la rendait extrêmement mal à l'aise. Déjà qu'en présence de personnes normales, elle se sentait mal à l'aise mais là, c'était pire. Elle avait passé toute sa vie effrayée par les autres, à observer les personnes qui l'entouraient. Elle observait toujours. Et quand on est invisible, l'observation devient un peu plus aisée mais à cause de ce point, on devient seulement spectateur et non plus acteur d'une vie. Voilà pourquoi Emily aimait penser que son nom de code était Watcher, la parfaite représentation de son pouvoir qui... Oh non, il ne manquait plus que ça ! Elle baissa lentement les yeux sur ses mains qui devenaient de plus en plus pâles. Elle n'avait plus que quelques minutes.

Emily accéléra le pas à travers les rayons, les dents serrées, les yeux plissés. Elle s'arrêta durant quelques secondes pour aider une vieille dame à ramasser son livre puis pour tendre un autre livre à un petit garçon qui n'arrivait pas à l'atteindre. Mais une fois sortie par la porte-arrière, une fois appuyée contre le mur, elle se mit à trembler comme une feuille, les larmes coulant abondamment sur ses joues. Elle était invisible, et elle se disait que parfois, elle n'avait pas besoin de l'être véritablement pour se sentir ainsi. Emily braqua son regard larmoyant sur ses mains qui n'étaient plus visibles et soupira. Elle ne pouvait plus vivre ainsi, cachée, effrayée, intimidée par ce qu'elle était. Elle n'avait plus de famille, sa seule amie était la propriétaire de la bibliothèque et tant qu'elle ne contrôlerait pas son pouvoir et ne comprendrait pas son fonctionnement, elle n'aurait pas de vie. Elle avait pris sa décision : elle se rendrait dans l'institut de Charles Xavier. Il s'agissait de la seule solution, et de la bonne, espérait-elle.