Pour n’importe qui d’autre, des ruelles sombres comme certaines à New York peuvent être terrifiantes et matière à cauchemars. Mais pour une jolie aveugle telle que Lise, aucune place, si sombre soit-elle, ne pouvait réellement lui provoquer de crainte. La demoiselle sursautait facilement au moindre bruit suspect, après un coup de vent particulièrement violent, surtout si celui-ci faisait claquer une fenêtre, mais elle ne tremblait pas comme une feuille en se baladant dans un endroit si sombre soit-il. Surtout qu’en ce début d’après-midi on ne peut plus pluvieuse, Lise était dans cette ruelle pour une raison précise : Habituellement, ses cauchemars, mêlés à ses visions dues à sa mutation étaient durs sans pour autant qu’ils ne la poussent à quitter brusquement l’institut pour se retrouver en plein cœur de New York. C’était à peine si elle se rendait compte de la tâche titanesque qu’un tel périple lui avait imposé…Lise avait laissé un pas pousser l’autre, sa canne d’aveugle fermement serrée dans ses doigts fins, sans se risquer à emmener son chiot avec elle cette fois : La pluie était bien trop torrentielle pour lui faire subir pareil traitement. Car la seule raison poussant une frêle demoiselle, aveugle qui plus est, à se rendre dans des ruelles mal famées de New York, c’était une vision mortelle. Du sang s’écoulant par litres, une image de mort ne cessant de peser sur sa frêle tête, telle une épée de Damoclès. Seulement voilà, la cible principale de cette vision, ce n’était pas elle, mais un homme à la carrure forte, au regard aussi brillant qu’inquiétant, dont elle ignorait jusqu’au nom. Si elle avait su que la réputation d’animal de ce fameux homme n’était plus à faire, sûrement Lise s’y serait-elle reprise à deux fois avant de se risquer dans une telle aventure. Mais son cœur était vaillant et sa cécité faisant en sorte qu’elle n’ait plus rien à perdre, ou à risquer d’autre que son existence inutile. On pouvait bien la menacer et chercher à la tuer, il n’était pas dit qu’elle cherche à se défendre en vérité. Elle avait pourtant bravé la pluie, une douleur indicible dans ses pieds qui n’étaient plus guère entraînés à ce genre de marche intensive, ainsi que son handicap majeur pour se rendre dans cette ruelle qui n’aurait inspiré confiance à personne d’autre qu’à une jolie aveugle comme elle. Ses visions n’étaient jamais très précises, pourtant, son instinct était en alerte depuis qu’elle avait quitté l’institut et c’était comme si elle savait exactement où elle se rendait. Lise savait, dans le fond de son âme, que la rencontre ne pouvait se faire qu’ici. Son allure ralentit d’ailleurs de moitié à partir du moment où elle s’engouffra dans ladite ruelle, le rythme cardiaque diablement affolé. Ce qu’elle redoutait, c’était de faire part de sa vision à cet homme dont elle n’avait jamais vu le visage auparavant et qui inspirait autant confiance que la noirceur de cette ruelle. Fallait-il qu’elle ait une araignée au plafond pour se risquer dans pareil périple…Mais cette fois, son instinct, dicté par ses visions on ne peut plus exactes, parvinrent à trouver la bonne personne au bon moment. Un timing parfait, mené de main de maître, si l’on pouvait voir la chose ainsi. Alors qu’elle n’avait pas fait dix pas dans ce maudit endroit, Lise percuta de plein fouet quelqu’un dont la simple présence, mêlée à une carrure passablement imposante, auraient pu lui déboiter l’épaule si elle ne s’était pas légèrement écartée après avoir ressentit le début de la collision. Comme quoi, lorsqu’il s’agissait de ce mutant en particulier, les visions de Lise étaient on ne peut plus exactes. Néanmoins, elle demeura figée quelques secondes devant Victor, dont elle ignorait encore le temps, tandis quelle serrait plus fortement sa canne d’aveugle entre ses doigts fins. Celle-ci ne pourrait en aucun cas lui servir d’arme de défense si cette histoire tournait mal, et à cause de son handicap, jamais elle ne pourrait aller bien loin pour se défendre seule. Ce fut sans doute pourquoi Lise ne pu décemment contrôler ce cri du cœur, qui dépassa ses lèvres sans crier gare, et surtout sans attendre la trinité : « Je ne suis pas une ennemie…Je vous ai juste vu… » La formule était quelque peu audacieuse, surtout pour une aveugle comme elle. Mais Lise ne savait pas exactement comment décrire la chose de manière claire et concise, afin d’éviter tout accident malencontreux. Tout allait se jouer dans les quelques secondes qui suivraient. La pluie l’avait rendue complètement trempée, Lise ne payait donc pas de mine et n’était pas à son avantage, et cette donnée se rajouta à la peur panique qu’elle ressentait face à cet homme imposant lui faisant face. Dans le fond de son âme, elle sentait que le pire lui pendait au nez si elle ne réagissait pas très rapidement. « C’est vous que j’ai vu dans mes visions. Elles ont été nombreuses à votre sujet et il fallait que je vous trouve. Même si ma tête risque de se détacher très prochainement de mon corps, il fallait que je trouve. » C’était déjà un début, et cela bien que Lise ait parlé très vite et de façon on ne peut plus paniquée, elle avait articulé suffisamment pour qu’il puisse la comprendre, et, au besoin, lui accorde quelques minutes supplémentaires d’existence afin qu’elle puisse s’expliquer plus en détails. Cette désagréable sensation, ce n’était pas la première fois que Lise la ressentait, mais c’était bien pire…Cet homme tenait sa vie du bout de ses griffes acérées, et s’il le souhaitait, il pouvait la briser d’un coup d’un seul.

Il est vrai que n’importe qui aurait pu avoir le mépris de son existence, si tant est que cette personne soit également aveugle. Mais ce n’était pas pour le goût du risque qu’elle avait fait tout ce voyage, ce périple dangereux depuis l’institut Xavier, bien au contraire. Lise n’avait pas pour habitude de faire des choses n’ayant aucun sens à ses yeux. Si elle avait eu le courage de venir jusqu’ici, quitte à faire une mauvaise rencontre, c’était afin d’avoir une chance de prévenir ce mutant du sort funeste qui risquait de lui arriver s’il continuait dans la voie qu’il s’était fixé. Il était extrêmement complexe pour Lise se s’exprimer clairement, de peur justement que ce soit elle qui ait à pleurer cette tête bien remplie dont elle aurait sûrement encore besoin un certain nombre d’années. Mais, à sa grande surprise, si Victor déposa ses mains griffues contre ses frêles épaules, qu’il aurait pu briser en levant simplement le petit doigt, il ne lui fit aucun mal. C’était une sorte de domination qu’il venait d’exercer sur elle de par son geste, rien de plus et rien de moins. Lise avait compris le message en deux temps trois mouvements, mais elle ne tremblait pas de peur. Son rythme cardiaque était affolé certes, et elle ne pouvait s’empêcher de craindre pour sa vie, mais quelque chose lui disait que tant qu’elle lui serait utile, l’animal qui sommeillait en ce mutant ne se réveillerait sûrement pas. Elle poussa donc un léger soupir de soulagement, dont le son s’évanouit dans l’atmosphère à cause du brouhaha créé par la pluie torrentielle tomba toujours sur New York. Incapable de le regarder dans les yeux ne l’empêchait certes pas d’écouter avec une attention toute particulière les dires qu’il eut. Lise savait que la moindre incartade pouvait lui être fatale aussi prit-elle quelques secondes de réflexion bien méritées afin de se souvenir de toute sa vision à peu près en détails : Le souci qu’elle avait constamment avec son pouvoir de prémonitions, c’était le fait que celles-ci soient souvent mêlées à des cauchemars. Difficile de séparer le vrai du faux, ce qui allait réellement se passer et ce qui méritait de rester fiction. C’était une chance que Lise ait une mémoire d’éléphant et une capacité à emmagasiner énormément d’éléments en même temps sans rien perdre. Aussi, elle s’apprêtait à commencer une sorte de compte rendu aussi fidèle que possible au moment même où elle sentit Victor s’approcher à nouveau d’elle. Lise aurait pu, et dû, faire un mouvement de recul, de peur qu’il n’ait soudainement changé d’avis et que son utilité ait été balayée d’un revers de manche, mais à sa grande surprise, il ôta son immense manteau afin de le lui déposer contre ses frêles épaules. Quelque part, Lise n’était ni rassurée ni particulièrement à l’aise, mais elle ne pouvait voir là qu’un geste altruiste, bien que redoutablement surprenant. Elle se permit un léger sourire, qui ressemblait davantage à un rictus crispé, alors qu’elle sentait à nouveau ses mains se déposer contre ses épaules recouvertes de l’épais manteau de Victor. Cette fois, il souhaitait sûrement lui faire comprendre qu’en cas d’inutilité, il ne ferait sûrement qu’une bouchée d’elle, et n’hésiterait pas à se repaître de son sang sur ses grandes mains de prédateur. Pourtant, en un élan de courage parfaitement digne d’elle, Lise démarra de manière on ne peut plus diplomate : « Je vous remercie. » Même lors d’une rencontre hors norme et passablement dangereuse, elle n’en n’oubliait pas les bonnes manières. L’animal, des deux, n’était pas logé dans le corps de cette charmante blondinette aveugle victime de visions. Ce qu’elle ignorait pour l’instant, c’est combien ses visions allaient être très prochainement utiles à Victor. Après tout, si son charme hypnotique laissait à désirer depuis son accident et la perte de sa vue, ses visions étaient fiables et à peu près maîtrisées. « C’est pour vous rencontrer que je suis venue ici. Je n’ai pas réellement peur des risques puisque j’en ai conscience…Autant que mon don serve à quelqu’un plutôt que d’être un boulet que je traîne derrière moi. Je sais que vous vous appelez Victor et qu’actuellement, votre destin se trouve liée à Raven… » Lise avait pleinement conscience de marcher sur des charbons ardents. Si elle avait le malheur de dire un mot plus haut que l’autre, et ainsi de déplaire à l’impitoyable mutant se trouvant derrière elle, il était évident qu’elle n’allait pas faire long feu dans cette ruelle et dans cette vie plus particulièrement. Pourtant, afin de prouver sa bonne foi et de lui faire comprendre que ses visions étaient réelles, elle n’avait pas trouvé d’autre moyen que celui de parler des deux protagonistes des-dites visions : Victor d’un côté, Raven de l’autre. Sans aucune once de maladresse, et en cherchant à calculer la trajectoire que ses dires prochains auraient sur son interlocuteur, Lise entrait progressivement dans les détails. Évidemment, elle ne pouvait pas se prétendre capable d’avoir la science infuse et de tout connaître de son existence…Tout ceci ne pouvait qu’être relativement subjectif. Néanmoins, pour prouver sa bonne foi, elle ne chercha pas une seule fois à se défaire de son emprise. Au contraire, plus les minutes filaient et plus son calme revenait au galop. « Je dois vous prévenir, mes visions peuvent être subjectives. Si vous écoutez les détails et que vous choisissez d’agir autrement, alors la vision changera elle aussi. Une confrontation entre votre libre arbitre et le danger qu’il y a à connaître son futur. Mais si vous ôtez vos mains de mes épaules et vous acceptez de me laisser respirer, alors je m’engage à vous dire absolument tout ce que je sais, et ce régulièrement. Si je manque à ma part du marché, il sera toujours temps pour vous de m’arracher la tête. » Ne jamais oublier que Lise possède un tempérament redoutablement bien trempé, même pour une aveugle. Et puis, quelque part, elle savait pleinement qu’il allait être intéressé, d’une certaine façon. Sans l’avoir vu de manière précise, Lise le ressentait jusque dans la moindre parcelle de son corps frêle et trempé.