Le temps file et défile devant les regards perdus, éperdus, condamnés à subir son caprice, à vieillir et puis, un jour, à mourir. Craignait-il la mort ? Non. L’Ange Noir l’avait adopté en lui, avec lui, comme une bonne amie d’enfance qui l’accompagnait où qu’il aille. Comme la mère de ce qu’il était sincèrement. Comme tout ce qu’il sera dans l’avenir aussi. Sans elle, qu’était-il si c n’était qu’un oiseau tombé du ciel ? Son unique client de la journée, un jeune mutant pour qui il ne s’intéressait pas plus que ça, savant toutefois qu’il lui fallait défendre le mal qu’il avait causé. Pour tout dire, ça ne l’amusait pas. Ça ne l’amusait plus, du moins. Il n’y trouvait plus le plaisir d’avant. Sans doute était-ce pour cette raison que l’ailé posait sur ces gens qui tuaient sans scrupule en espérant qu’il les défende jusqu’au bout, un regard sévère, replie d’une haine silencieuse et presque imperceptible, un regard hautain qui n’accompagnait aucune compassion et qui disait que rien ne l’empêchait de laisser tomber le mutant si l’envie lui en prenait. Et ce n’était pas comme s’il n’en avait pas goût. Mais c’était pour la Cause. La sienne. La leur. Ce n’était pas le fait de voir un Humain mort pour rien qui l’agaçait. Ça, il s’en moquait, étant prêt lui-même à mettre un terme à leur pitoyable, petite et parfaitement misérable existence s’il en avait le droit et le pouvoir. Il avait donc quitté le gamin sur une menace cinglante qu’il ne voulait plus entendre parler de lui pour les cinquante ans à venir ou se serait sa fête. Et croyez-le ou non, il n’oubliait jamais le visage de ses clients. Au cas où ça lui retomberait sur le nez, dirons-nous. La prudence était toujours de mise avec ces crétins de la société et la menace était parfois la meilleure de précaution avec certains.

Il se permit donc un temps de détente, loin d’eux, loin de tout et se rendit en son appartement, tout bonnement, où il rejeta tout : manteau franchement trop chaud pour la saison, se changea du tout au tout pour finalement ne se vêtir que d’un jeans (et ce qui va en dessous en général aussi…). Léger. Il aimait se sentir ainsi léger, sans à se soucier de rien en particulier, pas même son apparence dont il éprouvait pourtant toutes les fiertés du monde. Mais le monde, justement, n’était pas encore prêt. Et il lui préparait peu à peu son entrer triomphale qu’il ne pourrait faire autrement que d’accepter puisqu’il ne lui en donnerait pas d’autres choix possibles de toute manière. Il s’approcha donc de la grande fenêtre qui donnait sur son salon, l’ouvrant à la volée et, sans hésitation, se lança littéralement dans le vide pour déployer ses ailes semblables à celle d’un corbeau bien plus grand que nature. Libérer ses ailes du moindre tissu lui faisait le plus grand bien, semblant même lui procurer une humeur plus encline à la plaisanterie. Une humeur plus encline à tout et pas seulement ça, pour tout dire.

Toutes ailes déployées donc, son vol fut relativement silencieux, au-dessus de tout, de ce monde, de ces gens trop bêtes pour lever les yeux au ciel ou trop aveugle pour apercevoir l’étrangeté qu’il était sans doute au niveau du sol, bien qu’il fût plutôt élevé. Il survola la ville complète, s’étonnant comme toujours du silence qui régnait là-haut lorsqu’il ne croisait pas un avion par hasard, s’éloignant du vacarme de New York City, la ville de l’horreur, du masque et de la tragédie. Il piqua momentanément vers le sol, redescendant un peu de son haut perchoir au dessus du monde entier pour revenir vers les pauvres mortels. Le son de la ville revient finalement à ses oreilles, tel un bourdonnement des plus agaçants, incessants. S’il en avait habitude, il fut surpris, en descendant davantage, en percevant les silhouettes sur le pont qu’il avait l’habitude de traverser tous les jours, des cris de voitures plus qu’agressifs. Curieux, il s’approcha davantage jusqu’à clairement pouvoir distinguer ce qu’il s’y déroulait. Il effectua une fixation minime sur la voiture conduite par un cinglé fou furieux, forcément. Ou suicidaire, tout simplement. Il en fronça les sourcils d’exaspération, d’étonnement à la vue de cette forte étrange scène dont il ne pouvait détacher ses iris de fer. Jusqu’à ce qu’il ne voit le conducteur bondir de son véhicule et la moto se prendre de plein fouet l’autre véhicule. Dont il ne se préoccupa guère, toutefois. Ce qui l’avait véritablement étonné, c’était le fait que le conducteur à présent immobile au sol n’avait encore rencontré aucun problème à rouler en sens inverse. Un mutant ? Était-ce possible ? Forcément. Il ne pouvait pas s’être simplement contenté de contourner les voitures.

Trop curieux, sans doute. L’Ange noir soupira d’agacement dans son mélange d’incertitude et d’éternelle indifférence habituelle. Il gonfla ses ailes dans lequel s’engouffra aussitôt un fort vent qui le stabilisa quelques instants avant de lui permettre d’effectuer une descente impressionnante chez ses amis les mortels. Il se positionna de manière telle que nul humain ne puisse voir le visage de l’ailé lorsqu’il qu’il se posa entre les voitures désormais immobile, qu’il se précipita non sans agacement vers le corps allongé pour constater qu’il ne s’agissait non pas d’un homme mais bien d’une femme. Une mutante ? Il ne pouvait en être certain à cent pour cent encore… Tant pis. Pas le temps de trainer, il la questionnerait plus tard. Et au vue du peu de blessures qu’elle avait, pas de risque que ça ne tarde trop pour son déplaisir personnel. Malgré la surprise et l’étonnement générale, et surtout, malgré son caractère fort insouciant des autres normalement, il se saisit du corps féminin qu’il ne croyait alors pas si humain que ça pour détaler de nouveau, bien que ce fut pour lui légèrement plus ardue de s’arracher à la graviter, balayant d’un souffle dû aux ailes le sol et tout ce qui se trouvait dans les parages à ce moment-là. Il entraina donc, aussi surprenant cela puisse-t-il être, une pure inconnu vers un ciel plus connu pour disparaitre derrière un rideau de nuage et fuir les regards trop curieux.