Chinatown: La Cité des Emmerdes

Sujet: Chinatown: La Cité des Emmerdes Jeu 7 Juil - 6:00

L’avenir. Un grand mot. Un beau mot fait de mille promesses lancées dans le vent à la manière d’un cerf-volant dont il couperait volontiers la corde si ça ne tenait qu’à lui. Un mot auquel il souriait. Un sourire dangereusement mauvais et désagréable. Avenir. S’il ne savait pas très bien comment il voyait ce mot, il savait comment il souhaitait le voir se transformer en quelque chose de bien plus concret à ses yeux et qui en valait davantage la peine. Quelque chose qu’il gardait amarré en lui, comme un secret mystérieux qu’il ne murmurait qu’à l’oreille de ses propres songes la nuit tombée, entre les bras réconfortant de Morphée. Et lorsqu’il se tirait de force de cette torpeur régénératrice, il contemplait encore ce mot, gravé dans son regard, dans son esprit à la manière d’une malédiction qui le poursuit jour après jour.

Capuchon rabaissé sur la tête, le Mutant ailé n’avait pas pour habitude de sortir de la sorte le soir. Peut-être était un tour que le destin aura tenté de lui jour, un regard sur l’avenir, justement, qu’il n’avait, pour une fois, absolument pas prévu. Et Dieu seul savait comme il détestait les imprévus. Il ne cachait pas ses mutations physiques. Du moins pas directement. Si le vêtement par-dessus lui donnait à son dos un air particulièrement difforme, il ne retenait pas les ailes d’aucune manière que ce soit. Elles étaient aussi libre qu’il l’était lui-même : libres et prêtes à se déployer à tout instant. Tout de noir, il passait facilement pour le type à ne pas faire chier ce soir-là. Chinatown n’était pas son endroit préféré, mais c’était le lieu où les emmerdes ne dérangeaient personne, ou êtres ivre mort et tuer quelqu’un par inattention passait pour simplicité banale et où l’existence de tout mutant passait plus facilement qu’ailleurs. Peut-être parce qu’ils étaient tous bâtards, impurs et souillés. Peut-être était-ce dû au fait que la société même rejeter sa propre espèce humaine en l’accablant de malheur qui ne lui appartenait pas, pourtant. Et comme ils rejetaient tout ce qui était un peu différent du concept des normes, ils rejetaient aussi d’autres humains. Nathaniel ne savait quoi en penser exactement et pour tout dire, jusqu’à maintenant, ça lui avait toujours été égal, ne se souciant de rien ni de personne sauf de lui-même, de sa propre existence, de sa propre peau, de ses propres intérêts et de sa propre vie. Egocentrique ? Jusqu’au bout des doigts. Et alors ? Qu’est-ce que ça pouvait bien leur faire, à tous ces gens misérables trainant leur pitoyable carcasse décharnée dans la rue ?

Il poussa d’une main ferme une porte légèrement entrouverte qu’il connaissait déjà, par habitudes passées qu’il avait tôt fait préférer oublier et laisser de côté. Rien ne l’empêchait de les repêcher de temps à autre dans la mer du passé. Juste parce qu’il en avait envie et que ça ne pouvait pas lui faire de tord. Ce n’était ni un restaurant, ni un café, ni même un pub. C’était un petit coin miteux, sans grand intérêt, sans population ou du moins si peu dans lequel il se permettait de trainer. Il lâcha un regard d’acier qui interdisait le moindre commentaire sur le pauvre type derrière son comptoir. Ça faisait un sacré baille quand même qu’il n’avait pas posé les yeux sur cette vieille tête d’affamé.

Il n’aimait toutefois pas qu’on vienne déranger sa tranquillité. Encore moins lorsqu’il avait le nez dans un verre d’absinthe. Du coup, lorsqu’il perçu le mouvement trop humain à son goût près de lui, les ailes noires ne résistèrent pas, se glissant sous l’ample vêtement qui se dégagea, les déployant d’un air territorial. L’ex étudiant en langues proféra sa menace sur un ton qui n’accueillait aucune réplique, bien que la voix semble embrumée dans l’alcool. Ce qui n’était pas faux…

« Bùyào kàojìn wǒ. Ne m’approche pas. Oses, pour voir… »

Il n’y avait pas à dire, son chinois était pathétique, au fort accent américain, ne l’ayant jamais vraiment pratiqué, détestant particulièrement cette langue, pour dire vrai. Mais comme il ne s’agissait que des seuls mots qu’ils comprenaient dans ce foutu endroit puant la merde de lama, autant faire avec, même s’il n’était pas certain que ce qu’il avait dit fut réellement clair. Non, on ne l’approchait pas. Et, pour tout dire, il n’y avait que ce qui n’était pas humain pour tenter le diable avec l’ivrogne qu’il était probablement déjà en ce soir...

Samedi soir. Toutes les chances étaient de son côté pour que cette soirée soit mémorable. Il était passé prendre Aden chez lui et lui avait proposé de faire une tournée des bars. Ils en étaient peut-être à leur cinquième, ou sixième verre d’alcool… Erik ne savait plus trop, il n’avait pas vraiment pris la peine de compter. Les verres s’étaient suivis, bus comme du petit lait ; dès le troisième il n’en ressentait plus le goût, la contenance n’avait plus tellement d’importance. Ce qui comptait c’était l’effet produit, la finalité de la boisson, l’ivresse. Il y en avait des choses à célébrer, mais la plupart du temps ils se contentaient de lever leurs verres à eux, à l’avenir des mutants. Il savait pertinemment que le jeune homme était plutôt réticent à cette idée, et que parfois il grinçait des dents, mais après tout il s’en moquait. Aden était son disciple, en peu de temps il lui avait déjà enseigné plus de maîtrise qu’il ne l’avait osé seul. Bientôt il adhèrerait à n’importe laquelle de ses opinions et n’importe lequel de ses dires, il en avait l’intime conviction. Erik avait toujours eu un don d’orateur assez prononcé, il parvenait à capter l’attention assez aisément et convainquait sans trop de peine quiconque l’entourait. Peut-être devait-il cela à celui qui l’avait lui-même forgé. De toute manière on est mutant ou on ne l’est pas, un jour ou l’autre Aden serait bien obligé d’accepter son identité telle qu’elle. Il arrive parfois qu’on n’ait pas d’autre choix que de voir qui on est vraiment, et pas juste l’apparence qu’on veut se donner. Ce don qu’il possédait, ces ombres qu’il contrôlait, c’était en lui, et en dépit de ses plus braves efforts, jamais il ne pourrait s’en débarrasser.
Cela faisait quelques temps déjà qu’ils s’étaient rencontrés… Tout avait commencé par une partie de poker, quelques mots échangés, puis la partie avait tourné au vinaigre. En quelques coups Aden avait roulé toute la table, et bien évidemment ça n’avait pas plus aux joueurs les plus gros, accessoirement membres d’une mafia du coin. Ensemble, ils étaient parvenus à s’en débarrasser, mais ça n’avait pas été de tout repos. Cette expérience aura au moins eu le mérite de les avoir liés.
Roulant sa cigarette tout en marchant dans les rues de Chinatown, Magneto admirait le paysage. Quelques bâtiments à l’architecture profondément asiatique mêlés à de hauts buildings typiquement américains… Un mélangé audacieux, en somme. Les pancartes aux couleurs vieillies faisaient penser à celles qu’on aurait pu trouver dans un de ces films de Wong Kar Wai et ajoutaient une teinte chinoise au décor. Il avait promis un saké à son jeune ami, et c’était un homme de parole, néanmoins il ne le conduirait pas n’importe où pour autant. Il fit léviter son briquet jusqu’au bout de sa cigarette et l’alluma avant d’en tirer une bouffée. Aucun filtre, juste du tabac pur. Le meilleur. Il l’avait ramené de son dernier voyage à Cuba et en était assez content. « Tu veux goûter ? » demanda-t-il à Aden, sourire en coin. Ils passèrent près d’un lotissement sombre, éclairé uniquement par une lanterne rouge. C’était là. D’un geste de la main il lui fit signe d’entrer, et il le suivit de près. À peine à l’intérieur, de délicieuses vapeurs vinrent lui chatouiller les narines. Il n’y avait que là-bas qu’on pouvait trouver une absinthe de qualité, mais ce lieu étrange et étroit recelait bien d’autres surprises. La plus inattendue se présenta à lui assez rapidement. « Nathan ! » cria-t-il tout en approchant du mutant qu’il venait de repérer. Il lui tendit la main avec le sourire aux lèvres, bien que ce dernier fût visiblement irrité. Il toisa ses grandes ailes et huma l’air, de toute évidence Nathaniel avait bu plus d’un verre, son haleine en témoignait. « Est-ce que tout va bien ? » dit-il tout en plantant ses iris bleues dans ses grands yeux verts. Il recula soudainement, pour laisser place à Aden. « Je te présente Cash, je t’en ai déjà parlé me semble-t-il ? » On put déceler dans sa voix un semblant de fierté. Aden était une petite trouvaille qu’il avait fait il y a quelques mois, quand il venait d’amarrer aux Etats-Unis… Il n’en était pas tout à fait conscient, pourtant bientôt ce petit-là serait destiné à de bien grandes choses.