▬ Rose, ne touche pas aux ailes des papillons, mon coeur, tu risques de les blesser et il n'y aura plus de fleurs sur la planète.
Lui avait-on babillé un jour alors qu'elle soufflait avec douceur sur un insecte tombé à l'eau. Rose avait alors levé les yeux et égayé son visage poupon d'un sourire radieux. Pas toucher papillon sinon fleurs mourir. Check.
Depuis, celle qui se nommait jadis Rose s'appelait Shane, et plus personne ne l'avait appelé mon coeur depuis des décennies, hormis l'ivrogne du coin qui se prenait parfois à lui effleurer les fesses. Et elle s'en foutait pas mal de plantes et des insectes tout mignons dans le monde. Parce qu'il pouvaient bien tous crever que ça la rendrait bien indifférente. Depuis, papa était parti faire la peau aux nippons de l'autre côté du globe et n'en était pas revenu. Ou plutôt si, mais en petits morceaux. Tellement petits que l'armée ne leur avait fourni qu'une médaille pourrie et un drapeau américain. Merci, bonsoir. Depuis, maman avait fini par se foutre de tout et tout le monde, a commencer par les fleurs et les papillons.

Alors Shane avait quitté la grisaille et le climat pourri de Philadelphie pour s'enfoncer dans celui de New York. Elle n'y avait pas franchement gagné au change. Mais elle avait gagné trois boulets. Trois filles tout aussi tordues qu'elle l'était, histoire de se sentir moins conne et moins monstrueuse dans ce monde de barges.
▬ Pourquoi « nul » ? Les Red Roses, c'était joli. On ne va pas appeler ça Garden of flowers ...
Des journées comme ça avec elles, Shane aurait pu aisément s'en passer. Déjà, ça sentait le roussi et elles n'avaient pas prononcé deux phrases chacune.
▬ Red Roses, ça faisait groupe de rock à la limite mais pas Garden of Flowers, pitié. Fit la jeune femme en haussant les épaules.
Red Roses. Nom de whisky, nom de bar mais pas nom de boutique de fleurs. C'était bien de cela qu'il s'agissait. Ca n'avait pas fait rire Shane, cette idée là, pas du tout même. Mais se faire virer de son job de serveuse/chanteuse devant ses trois acolytes non plus, donc il avait bien fallut trouver une issue de secours. Shane elle, elle aurait bien voulu braquer des banques, faire des trucs cools et s'éviter la corvée de revenir aux origines de ce que certains semblaient appeler un pouvoir. Pouvoir de quoi, asshole ? Pouvoir des fleurs ? C'toi la fleur... La seule chose qu'on trouvait de suffisamment fleuri chez Shane, c'était son langage et cela lui semblait déjà assez.
▬ Avec vous, c'est pas les jardins d'Eden, c'est sûr...
▬ On n'a pas signé pour les ailes et l'auréole, de toute façon.
Outre le fait qu'elle n'avait rien signé du tout, ça n'était pas faux. Et puis si New York était l'Eden, ça se saurait.
▬ Vous savez quoi ? J’en ai marre, de vous. Si j’avais d’autres amis, j’me casserais.
▬ Avec des « si » ...
Et voilà, c'était parti... Shane fit voguer son regard entre Daphné, Enora et Lullaby. Trois tornades qui allaient tenir un magasins de fleurettes. Avec des si, donc. Si ça n'était pas d'une nécessité absolue et si la jeune femme n'avait pas tenu à rester avec elles, elles auraient déjà toutes finies mortes, étranglées par des ronces et des fougères leur sortant du nez. Vous savez, quand on vous dit qu'un abricotier va vous pousser dans l'estomac si vous avalez le noyau... Essayez un peu pour voir... Bref.
▬ Sinon, il y a les jeux de mots ... Belladonna ... Bella Donna ... Quatre belles plantes pour une boutique de fleuriste, est-ce que ça n'a pas la classe ? Interdiction de grogner, Shane ...
Eew... Et c'était Daphné l'ingénieuse du groupe ? Ben merci pour la comparaison. Elle souffla un Va te faire foutre imperceptible avant d'enchainer.
▬ Pitié... Laissez moi mourir. T'as enseigné à l'école du cirque aussi ou quoi ?[/b]
Parce que oui, Daphné se targuait d'être future institutrice et blablabla mais bon, pour l'instant, Shane voyait assez peu ce que le prof caméléon pourrait bien enseigner à ses étudiants à part comment faire des blague pourries. Pourries comme son dit pouvoir, tiens. Miss 'je peux prendre la texture et la couleur de tout ce que je touche' passé l'intérêt de masquer les trous dans la moquette on repassera pour trouver une meilleure utilité. Pour le coup, ça rassurait un peu Shane qui se disait qu'elle n'était pas la seule dont Darwin et son évolution à la noix s'étaient payé la tête. Nouveau gène mutant. My ass.
Genre faire pousser des marguerites, ça allait sauver la planète.
▬ Au moins avec elle on rigole un peu. Tu veux suggérer quoi, les fleurs du mal ? The dead roses ? ça te plairait plus ?
Here comes the femme arrosoir après miss Camélia et la femme feuillage. Mais c'était bien ça ! Dead roses. Par définition, tout ce qui s'associait à la mort, aux trucs horribles et dégueus était nettement plus cool que n'importe quoi comportant un terme botanique.
▬ Dead roses ouais. Mais je suppose que miss fleur bleue trouvera ça assez peu vendeur.
▬ « Miss Fleur bleue », c'est tellement dans le ton. Bref, on va prendre « les Pâquerettes » et tout le monde sera con-tent.
Et ton c*l, c'est une pâquerette ?
▬ Il est hors de question que je m’appelle Pâquerette, dans quelque univers que ce soit. On pourrait pas plutôt être des plantes carnivores ?

Shane leva un regard empli d'espoir sur Enora l'affreuse. Enfin quelqu'un de censé. Boh.... Censé, c'était vite dit, parlant de la mécanicienne folle et doué de précognition. Celle qui conduisait comme une malade, à toute vitesse. Rentrez donc de soirée avec elle et si ce n'était pas l'alcool qui vous faisait rendre tripes et boyaux, soyez sûrs que ce serait sa conduite qui s'en chargerait avec grand plaisir.
▬ Tu veux manger des mouches ?
Haha, le deuxième pouvoir de Daphné aurait dû être de tuer les autres à coup de blagues en bois.
▬ Oh, la ferme.
▬ Le caméléon, si j'étais toi jme la fermerai Lança Shane avec un sourire. Pour gober des mouches, en tant que représentante humaine de l'animal, elle pouvait bien parler. Enfin, tant que ses yeux ne tournaient pas à 360 degrés, ça lui allait.
▬ Descends de tes grandes orchidées, Shane. Tu pousses la graine un peu trop loin.
Pousser la graine ? La brune eut un grognement de mécontentement. Tu veux que j'la fasse pousser ta graine pour voir ce qui sort de tes oreilles ? Non mais.
▬ Bon, ça suffit la basse cour ? The Garden, ça devrait suffire, non ?
Ainsi parlait Sainte Lullaby. Patronne des nulles et des mutants nazes.
▬ Bon, on vote ? « Belladonna », « The Garden », « Aux plantes carnivores » ou « Red Roses » ? En cas d'égalité, c'est Léon qui tranche. Léon. Le chien. Et Cam, le chat. Logique en somme.
▬ Comme ça va prendre des heures et que Shane va finir par se barrer ... Garden nous plaira pour la boutique, et on va garder Belladonna pour nous.
Tout juste. Comme d'habitude, Enora avait une longueur d'avance et leur évitait une demie-journée de débat stérile sur "Comment nommer une boutique de créations florales sans froisser quatre tanks humains/mutants/tout est relatif". Merci. Amen, comme ils disaient chez les Marie/Joseph/Et-tout-les-saints.

▬ Le nom, ok. Les horaires ? La répartition des tâches ? Daphné, organisée (Encore heureux, il en fallait bien une sinon elles auraient déjà bien fini dans le mur), avait déjà tout planifié et passait donc au point sensible suivant. Parce que, de toute façon, tout était sensible...
▬ C’est toi, la tâche. Sinon, je fais les livraisons.[/b] Répondit Enora, devançant la fleuriste.
▬ Genre. J'ai une autre option moi ? Parce que sinon je ferais bien un strip-tease devant la boutique pour rameuter du client. Enora, si tu pouvais anticiper les commandes, ça serait bien. Siffla Shane à son tour, une légère amertume se dessinant au fond de ses yeux.
Son pouvoir lui pesait assez de la sorte, dans le sens où pour une rockeuse en herbe, (OUI, elle était plus herbe que rockeuse, en l'occurrence), c'était assez ridicule de hurler des propos obscènes en faisant naître des petits pissenlits. Fuck les fleurs, mec
▬ Non mais je fais dans le court terme, moi, pas dans les prévisions météo.
▬ Et ma main dans ta gueule, à court terme, tu l'as vue ? Grogna la jeune femme pour toute réponse.
▬ Cherches pas, tu vas te prendre une branlée.
Ha ça oui, pour s'en prendre une, elle s'en prendrait bien une. Et une grosse. Mais quiconque touchait un cheveux de ses complices prenait de toute façon soit un arbre dans la gueule soit n'importe quoi d'autre. On ne touchait pas aux quatre (pas du tout) fantastiques sous peine de subir une mort/torture lente et douloureuse. Pourquoi ? Parce que sans elles, Shane n'avait plus rien et qu'elle ne tenait pas à retourner à cette époque durant laquelle les seules choses chères à son petit coeur étaient son paquet de clopes et son verre de whisky. Où elle allait de bar en bar pour chanter sans avoir de public. Ou un public seulement attiré par ses formes. Non merci. Restez là, les filles. Alors Shane adoucit simplement son regard de braise et esquissa un sourire.
▬ On va avoir une clientèle distinguée, tiens ... Je m'occuperai des comptes, de tout ce bordel, je suppose ?
▬ Ouais, les comptes et l'arrosage automatique.
▬ Va te faire mettre.
▬ Avec plaisir.
Amis de la délicatesse et de la poésie, bonjour ! Aujourd'hui nous vous présentons la Shane, l'Enora, la Lullaby et la Daphné, vendues en kit par quatre, ça n'a aucun intérêt, sinon. Elles égayeront vos soirées en vous contant fleurettes avec une douceur et une distinction inégalée... HRM.

Shane eut un sourire en coin. Lullaby et son pouvoir, c'était un peu comme elle et les fleurs. Pas vraiment compatible. Assez stupide quand on y pensait, mais tout de même, et titiller la jeune femme sur ce point plus que sensible avait la saveur du danger... C'était drôle. Bon d'accord, pas forcément agréable pour Lulla, et puis Shane avait un humour des plus nuls. Daphné, sort de ce corps, veux-tu ?!
▬ Bon ben je m'occuperai des compositions et de la publicité. Ca vous va ? Trancha donc miss remplacement de tapisserie, comme si les trois avaient pu sélectionner une option différente du "Oui, madame, ça nous va".
Elle n'avait peut-être pas grand chose à faire de son pouvoir, mais on n'était jamais trop prudent, autant abdiquer...
▬ Vu la vitesse à laquelle Poison Shane fait pousser ses pâquerettes, je pense qu'on n'est pas obligée de se lever aux aurores pour préparer la boutique, hum ?
Elle y tenait à sa pâquerette, l'autre. Elle en voulait une ou quoi ?
▬ Bah, je peux ouvrir aux aurores, de toute façon, si vous voulez...
▬ Ouais mais moi, je fais rien pousser avant dix heures. Alors si ça t'amuse... Répliqua donc Shane, qui pour une fois pouvait se comparer à une plante verte... Très très tardive.
Ben oui, il lui fallait bien le temps de se lever, d'éventuellement décuver de sa soirée d'hier et d'enfumer la chambre d'une ou deux clopes matinales avant de penser à faire pousser des trucs. Mais d'accord, vendu.
▬ Putain, Daphné, non !
Shane grimaça. Quand Enora criait ce genre de choses, c'est qu'il fallait fuir à toutes jambes avant de subir de grandes tortur...
▬ Only you can maaaake this world seem right, only you can make the darkness bright ...
Voilà... Avant même que Shane ait pu attacher Daphné par les pieds avec une liane et/ou étouffé son chien saucisse par la même occasion, la Camélia avait déjà entonné sa chansonnette à la noix.
▬ La séance est levée, je crois. Conclut sagement Lullaby.
▬ Ouais. Moi jme barre avant que Daphné entame le refrain. Parce que la musique adoucit ptêtre les moeurs mais pas les miens... Ou entend tout cas pas sa musique quoi. Siffla alors Shane avant de tourner les talons et de quitter la pièce sans attendre de rappel.
Ha, Seigneur, si elle ne les aimait pas, elles les aurait bien étouffées dans une forêt dense. La politique de la brune s'apparentait à un "Marche ou crève" et quitte à marcher jusqu'à en crever, autant faire le chemin accompagnée de trois malades, c'était plus drôle.
Quant au choix d'un camp, Shane préfère choisir le sien, il est nettement plus fiable et risquerait difficilement de la trahir.