If life doesn't break you today, don't worry,

it will try again tomorrow.

De petits flocons blancs tombaient tranquillement derrière la fenêtre. Le vent froid de décembre se faisait ressentir et le paysage extérieur revêtait petit à petit son manteau hivernal. Les fêtes approchaient lentement et la petite était excitée comme une puce. Un large sourire habitait son visage alors que ses yeux parcouraient l’étendue blanchâtre. La porte s’ouvrit lourdement et elle se retourna soudainement. Apercevant son père, elle lui sauta dans les bras comme elle en avait l’habitude. Il lui caressa les cheveux et lui annonça qu’il avait quelque chose à montrer à son enfant. Curieuse, elle ne put qu’accepter et prit son manteau avant de suivre l’homme en dehors de leur maison. Ils avancèrent au travers d’allées entourées de maisons ternes qui ne tarderaient pas à adopter une couverture plus naturelle. La petite sautillait comme l’enfant qu’elle était et, malgré les quelques rappels à l’ordre de son paternel, elle ne semblait jamais vouloir s’arrêter.

Alors qu’elle se retourna cependant, elle entra en contact avec quelque chose. Quelques secondes durant, elle perdit l’équilibre mais parvint à rester debout. La personne avec qui elle s’était cognée en revanche jonchait sur le sol glacé. Il s’agissait d’un homme, surement pas plus âgé que son père. Pourtant, il était si maigre comme s’il était malade, très malade. Elle voulut l’aider mais son paternel la prit par le bras et l’emmena loin de cet endroit. Elle essaya de se retourner afin de lancer un dernier regard à l’inconnu mais on le lui interdit. Lorsqu’elle demanda pour quelle raison, elle n’eut droit à aucune réponse et ce fut en silence qu’elle continua son chemin.

Petit à petit, elle s’éloignait des bâtiments. La main dans celle de son père, elle n’osait pas demander où allaient-ils. Rapidement cependant, elle aperçu plusieurs personnes travaillant la pierre. Non loin d’eux se trouvait une table à laquelle était assise sa mère. Ce fut leur destination. Sans hésiter, elle sauta dans les bras de la femme et posa ses yeux sur les travailleurs. Elle avait envie de savoir qui ils étaient mais aussi pourquoi travaillaient-ils de cette manière ? Ils devaient avoir très froid, couverts de leur simple chemise à rayure. On lui apprit que cela ne les dérangeaient pas. Qui étaient-ils ? Des juifs. L’enfant hocha la tête. Ils devaient être là, c’était ce pour quoi ils existaient, c’était son maître qui le lui apprit et ce fut avec un large sourire qu’elle le récita à ses parents qui la félicitèrent.

« Wanda ! »

L’enfant sauta de son lit et descendit rapidement les escaliers afin de rejoindre son père. La chaleur était écrasante. Au loin, une épaisse fumée montait vers le ciel créant des nuages d’un noir de jais. Une étrange odeur flottait dans l’air mais elle n’y fit pas attention, trop habituée désormais. Son père la mena jusqu’à ce qui ressemblait à un bunker. Des heures durant il lui avait expliqué à quoi servaient ces pièces, désormais, elle était en âge de le voir, de savoir. Quelques personnes nues y pénétraient encore lorsqu’ils s’approchèrent de la porte et l’un d’eux eut un regard pour l’enfant. Cette dernière ne réagit pas, sa petite main toujours dans celle de son père. On ferma de lourdes portes en fer. Des cris se firent entendre. Comme on le lui avait appris, elle les ignora. Un homme sortit d’étrange palais d’un camion et les fit passer au travers d’une petite ouverture dans la pierre. Les hurlements redoublèrent mais elle ne broncha toujours pas. Cela dura ce qui lui sembla être une éternité. La montre au poignet de son père lui annonça pourtant dix minutes. Dix petites minutes. Emportée par son paternel, il lui proposa d’ouvrir les portes. Elle lui lança un regard interrogatif mais se décida à poser la main sur la poignée. Elle dut s’y reprendre à plusieurs fois. Manque de force ou de volonté ? Était-ce quelque chose qui importait vraiment ? Pas à ses yeux en tous cas. Ce fut dans un bruit de ferraille que les battants s’ouvrirent doucement.

Un cri de terreur résonna soudain. Esther se redressa, en sueur, dans son lit, dans son appartement, à New York, loin, très loin. Elle essaya de calmer sa respiration et les battements de son cœur qui semblaient vouloir rivaliser avec la lourde pluie qui tombait à l’extérieur. L’horloge affichait trois heures du matin, comme à chaque fois. Relevant ses cheveux, la jeune femme sortit du lit et se dirigea vers sa salle de bain. Dans les vapes, elle dut s’y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à allumer la lumière. Elle aperçu son visage dans le miroir et resta immobile quelques instants, à simplement observer ses yeux bleus. Pourquoi ? Pourquoi n’aurait-elle pas pu naître avec les yeux marron de sa mère ? Elle serait passée inaperçue. Une brune aux yeux marron, elle se serait fondue dans la foule. Elle se serait enfuie. Mais surtout, ils n’auraient pas porté autant d’importance à lui apprendre ce qu’ils pensaient être les règles de la vie. Depuis sa plus tendre enfance, elle entendait parler de la race aryenne, des sous-races telle que la race juive, des exterminations ainsi que les dix façons de tuer un juif à main nue. Elle se dégoutait. Elle se haïssait. On lui répétait sans cesse qu’elle n’était qu’une enfant. Non, à huit ans, nous n’étions plus un enfant. Elle aurait dut dire non. Elle aurait dut dire non… !

« You should have said no. »

Elle hurla, se retourna et se prit le cœur à la main. Devant elle se tenait le premier juif qu’elle avait tué elle, de ses mains. Il la hantait, depuis toujours. Il se posait devant elle, son corps frêle qui avait du mal à se supporter lui-même. Habillé des même lambeaux, avec cette même voix rauque et malade. Son visage souillé et sa tâche rougeâtre entre les deux yeux. Faiblement, elle se retourna, s’appuya contre le lavabo et ferma les yeux. Après plusieurs minutes, il s’en alla enfin. Elle éteignit la lumière et sortit de la pièce. Elle prit son paquet de cigarette, le désinfecta, s’approcha de la fenêtre et attrapa son briquet. Chez certaines personnes, fumer détendait. Pour Esther, cela la stressait. Mais elle en avait besoin. Moins elle était calme, moins elle se souvenait de son passé. Et moins elle se souvenait de son passé, mieux elle se portait. Elle resta quelques instants à observer la pluie qui tombait au dehors, dissertant sur la relation qu’entretenait l’être humain à la météo et aux effets que cela pouvait avoir sur son comportement. Elle finit par aller se servir un verre d’eau et trouva le courrier de la vielle. Des factures, principalement. Elle vit cependant une lettre tamponnée de Pologne. Sans hésiter, elle l’attrapa, sortit son briquet et la fit bruler rapidement. Sans aucun regard en arrière, elle retourna vers son lit et ferma les yeux. Elle les rouvrit aussitôt, prise d'une vision d’horreur. Elle s’immobilisa donc, les paupières grandes ouvertes, pointées vers le plafond. Elle n’avait pas besoin de dormir, le sommeil était nécessaire à la vie. Et la vie, elle n’était pas certaine d’en vouloir encore.

Bienvenue & bonne continuation (: