Le monde est parfois bien plus vaste qu'on ne le pense et chaque jour, une surprise peut venir vous ouvrir les yeux un peu plus sur ce qui vous entoure et surtout, sur ce que vous ne soupçonniez même pas. Ce fut le cas lors de cette journée au commencement banal de 1972, le 8 juin pour être précis. Ce jour-là, la vision du monde d'Espéranza changea radicalement, comme si ses œillères venaient de lui être ôtées définitivement. Quoiqu'il en soit, tout commença de façon assez banale, presque habituelle dans la vie de la cubaine arrivée voilà trois ans aux États-Unis et qui se plaisait à croire que rien ne pouvait plus la surprendre dans ce monde où elle avait déjà connu l'abandon, la méfiance, la terreur et surtout, l'impression de n'être qu'une chose entre les mains de scientifiques. Durant les sept années passées au centre secret de recherche communiste sur les phénomènes paranormaux, elle avait subi les pires outrages qu'une fillette peut endurer dans sa vie, n'étant même plus considérée comme un être humain et ne voyant aucune lumière au bout du tunnel.

Aujourd'hui, tout cela était derrière elle et rien n'avait plus d'importance en dehors de la sensation intense de se sentir libre à nouveau. Louant un appartement luxueux non-loin de Central Park, la jeune latine jouait à la petite princesse grâce à l'argent que ses vols lui avaient rapporté et lui rapportaient encore, vu qu'il n'était nullement question d'arrêter une activité aussi lucrative. Hier encore, Espéranza avait dérobé une toile de Maître dans une villa pour un acheteur privé qui semblait vouloir mettre le prix pour cette oeuvre d'apparence assez minable. Il faut dire que la plupart des oeuvres d'art qu'on lui avait demandé de voler ne méritaient certainement pas une place dans son appartement suivant les critères esthétiques de la belle brune mais bon, si une personne était prête à y mettre le prix, cela n'était pas un soucis pour la voleuse de lui obtenir un truc hideux.

Comme à son habitude après un contrat réussi, Espéranza se leva avec le sourire, satisfaite de sa nouvelle vie à l'air libre et sans les multiples tests éprouvant qu'elle subissait à l'époque chaque jour, comme si les résultats allaient être différents d'une heure à l'autre. Savourant un jus d'oranges fraîchement pressées la jeune femme flottait nue dans son appartement, s'amusant avec son pouvoir comme si il était devenu une part entière de son être. Il faut dire qu'en publique, la cubaine se faisait bien plus discrète et tentait même plus de ne pas attirer l'attention, ayant encore peur qu'on vienne l'emprisonner durant des années juste parce qu'elle était différente. En moins de quelques minutes, le divin liquide fut avalé et comme une astronaute, elle poussa sur le mur pour se diriger vers son dressing. Très coquette, elle opta malgré tout pour un training sobre et bien trop large pour elle, évitant ainsi d'attirer les regards lorsqu'elle courait dans le parc. Moins les gens la regardaient, plus elle se sentait en sécurité et ce n'était sûrement pas une tenue extravagante qui allait mettre en danger cela. D'un côté, c'était assez triste car la belle avait des robes somptueuses qui n'avaient jamais vu l'extérieur de son appartement.

Baskettes aux pieds, Espéranza sortit de chez elle, saluant comme d'habitude le gardien de l'immeuble d'un généreux sourire et s'engagea dans le magnifique Central Park pour son jogging quotidien. La course à pied était un moyen agréable de profiter de sa liberté et de la nature, tout en conservant la ligne. En effet, son pouvoir avait souvent tendance à lui faire oublier le poids réel des choses, tout comme de son propre corps. Trop souvent allégé, ce dernier pourrait devenir trop lourd pour ses muscles si ceux-ci n'étaient pas sollicités. Il était donc important de s'entraîner quotidiennement. D'ailleurs, elle prenait également des cours de self-défense, chose qui pouvait être utile si un jour son don venait à disparaître. Elle n'avait jamais su comme ce dernier lui était arrivé mais bon, le visage de ses parents lorsqu'ils l'abandonnèrent aux soldats cubains, la traitant de monstre, était une chose bien suffisante à se rappeler.

La latine commença donc à courir, pratiquant une piste assez discrète et où peu de personnes passaient afin d'être tranquille. Evidemment, comme toujours, un idiot commença à la suivre, adaptant son allure à celle de la biche qu'il convoitait, tel un chasseur ayant trouvé sa proie du jour. L'homme d'une trentaine d'années remonta au niveau d'Espéranza et tenta d'engager la discussion, comme si ce pauvre homme avait une chance. Pour la jeune femme, son jogging dans le parc était un moment de solitude et de détente qui lui tenait à coeur et elle ne contait certainement pas se faire ennuyer par un dragueur bien lourd. Elle accéléra donc le rythme de sa course, réduisant la gravité qui agissait sur elle. Sa vitesse augmenta considérablement et cela sans le moindre effort. L'homme s'accrocha un moment et au final, ne pouvant plus suivre, il s'agrippa à la belle sans qu'elle s'y attende. Surprise et instinctivement, elle utilisa son pouvoir et augmenta la gravité agissant sur son agresseur, au point qu'il se retrouva à plat ventre, incapable de se relever. Voyant cela, les passants rirent, se moquant du pauvre homme rampant devant une femme. Espéranza sentant les regards se poser sur elle, s'encourut sans attendre, slalomant entre les arbres pour s'éloigner au plus vite.