♣ "Ca fait combien de fois ce mois-ci?"
"Trois, Matt."
"Wow...Je ne pensais pas t'être aussi indispensable Ci'. Que me vaut le plaisir?"
"Arrête de raccourcir mon nom, Ciaran reste très prononçable pour un nom Irlandais."
"Tu raccourcis bien le mien, et cesse de détourner la conversation Ciaran. Pourquoi tu m'as fais revenir?"

Ciaran ne répondit rien et se contenta de fixer son ancien ami d'un regard qui se veut neutre mais qui est si lourdement teinté de douleur, colère, affection...Des fois, Ciaran - agent de la CIA de son état - aurait voulu le créer moins conscient de la réalité de son état. Le faire exactement comme il s'en souvenais. Ce grain de folie, ou plutôt cette douce folie qui a tant nécessité l'Irlandais pour se calmer. Cet esprit génial partit bien, bien trop tôt à l'âge d'à peine 23 ans. Cependant le recréer, ou plutôt le réécrire de manière aussi fidèle serait bien trop dangereux pour le brun. Il se perdrait dans l'illusion de sa propre création et finirait par aller à l'hôpital, épuisé et sur les bords du coma, sans moyen de rémission à moins que quelqu'un ne détruise la description originelle, celle qu'il réécrit à chaque fois, inlassablement. Matthew Hawkins. Son meilleur ami depuis ses débuts en littérature, celui sur qui il a toujours veillé afin qu'il ne lui arrive rien et qui en retour était sa muse, son héros, son épaule quand il avait besoin de se reposer de ce monde. Son seul intérêt dans la gente masculine à sa connaissance aussi, mais ce n'est qu'un détail. Il était un gentil gars, adorable même, bien qu'un peu trop timide et frêle pour vraiment s'en sortir seul dans un New-York en pleine expansion. Alors Ciaran l'avait pris sous son aile. Ils avaient passé cinq ans en colocation ensemble, tranquillement, rien de spécial à signaler, à part les crise de page blanches de l'un et les crise de panique quand à ses dessins de l'autre. Il voulait dessiner la mode, faire comme Yves St Laurent, Chanel et Dior, permettre aux femmes de s'exprimer à travers des créations originales et faites pour elles. Seulement, malgré toutes les précautions qu'avait pu prendre Ciaran, la drogue avait réussi à se faufiler dans leur petit nid et Matt fit une overdose mortelle. Ce fut la gardienne qui le trouva alors qu'elle avait essayer de le contacter pour un colis à son nom. Elle appela la police et l'écrivain en devenir en second.

Finalement, Ciaran vida son verre d'alcool qu'il avait presque oublié et reposa ensuite ses yeux sur Matthew devant lui.

"Tu me manques."
"N'owww." sa création s'approcha de son pas félin, celui-là même qui a attiré l'oeil du brun en premier lieu, pour s'appuyer aux accoudoirs "C'est donc ça, ce que tu n'as jamais osé demandé..."
"Oublies ça. J'avais juste besoin de te voir, point."
"Tu sais que tu peux faire de moi ce que tu veux, mon créateur." il se pencha un peu et l'Irlandais retint son souffle un instant.

Car oui, Ciaran pouvait par simple écrits, et une grosse dose de concentration, donner vie à ce qu'il ou qui il voulait. Il était un être extraordinaire pour cela, mais jamais son colocataire n'en n'a su quoi que ce soit, même ses parents et son frère cadet. Il le cachait bien et pour cause: ça pourrait être dévastateur pour beaucoup de gens si on l'apprenait. De toute façon, ça lui pompait tellement d'énergie qu'il était plus simple pour lui de ne pas s'en servir. Pendant presque six ans, il avait réussi à ne pas s'en servir, à ne pas y faire recours pour revoir Matthew, mais avec son nouveau poste à la CIA, lui prenant de plus en plus de temps et de volonté, il avait cédé quelques mois plus tôt et avait finit par réécrire Matthew pour pouvoir passer quelques heures avec lui de nouveau. Pourtant, à la CIA, il était plutôt de ceux qui restaient dans les bureaux, on ne l'avait pas encore envoyé sur une vraie mission de terrain.

"Arrêtes ton cirque Matthew."

Et il déchira la page dans un bruissement de papier, la description originelle, celle qu'il réécrirait le mois prochain probablement. Matthew disparu dans un courant d'air et Ciaran prit la précaution d brûler le bout de papier sur son petit balcon, avant d'aller enfiler sa veste et sa cravate et de partir pour le bureau, ressortant son air joviale habituel. Malgré cette mélancolie et son besoin de revoir son ami disparu, Ciaran restait un être fondamentalement jovial, celui qui fait le pitre quand tout le monde tire la tronche. En fait, c'était peut-être pour cela qu'ils ne l'avaient pas encore envoyé sur le terrain...