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R O A D . 9 0
C L E A R W A T E R . F O R E S T , I D A H O

Bill et Stefan roulaient tant bien que mal vers Spokane, à la bordure de la forêt de Clearwater. Les deux bûcherons étaient exténués. Il avait plu sans interruption depuis la veille à midi, le terrain était glissant et dangereux, et leur travail était devenu plus harassant et stressant que d'habitude. Stefan s'était endormi contre la vitre de sa portière, sa respiration avait entièrement recouvert sa fenêtre de buée. Bill, lui, fronçait les sourcils pour tenter de discerner la route à travers ses essuie-glaces. Les épais nuages avaient fait tomber la nuit avec quelques heures d'avance et ses phares étaient à peine suffisants pour l'aider à rester sur la voie. En gars du coin, il savait que suivre le courant de l'eau sur le bithume était encore le meilleur indice pour rouler dans la bonne direction... Un éclair illumina le paysage une fraction de seconde, et un coup de tonerre ne tarda pas à se faire entendre. Stefan se repositionna dans son sommeil. Soudain, un bourdonnement assourdissant se fit entendre et passa à une vitesse fulfurante à côté d'eux. Stefan se réveilla en sursaut, persuadé qu'ils avaient prit la foudre, avant de constater comme Bill qu'une moto venait de les dépasser et finissait de disparaître dans un virage au loin. Bill secoua lentement la tête en ésperant que le lendemain, les journaux n'annonceraient pas la mort d'un motocycliste dans la tempête...

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H E Y . J O ' S . R O A D . 9 0
L I B E R T Y . L A K E , W A S H I N G T O N

Jonathan Kerbill, que tout le monde appelait "Jo" conformément au nom de son restaurant, débarrassait la table de ses premiers clients. Ce n'était pas trop mal, pour une soirée de fin de semaine. Quelques bûcherons habitués qui descendaient de la forêt pour le week-end, souvent trop fatigués pour tenir la route jusqu'à Spokane, et comme ça arrivait parfois, une famille qui allait sans doute passer le week-end en camping et qui s'était arrêtée en chemin pour voir le lac. Un éclair illumina la nuit et un violent coup de tonerre fit trembler les vitres. Les deux enfants de la famille poussèrent des cris stridents.
« Pour sûr! C'est pas un temps à être dehors! » marmonna l'un des bûcherons dans sa bière. « Oh, allez! dit Jo d'un ton rassurant, attendri par les enfants. Je vous ammène un chocolat chaud. Sur le compte de la maison. » ajouta-t-il aux parents. La tempête soufflait fort dehors et leurs vêtemens encore humide lui faisait pitié. Alors qu'il se dirigeait vers son zinc, une lumière approchante attira son regard au dehors. Elle attira d'ailleurs le regard de tout le monde dans la pièce : il y avait encore des fous pour être sur la route! La lumière ralentit derrière les vitres ruisselantes et un ronronnement puissant attira le petit garçon de la famille tout contre la vitre. « Une moto! Papa regardes! » Quelques secondes plus tard, les portes du restaurant s'ouvrirent, laissant entrer une bourrasque d'air humide et froid. Le motard était entré, recouvert de cuir noir, son casque ruisselant de pluie. « Qu'est-ce que je vous sers, Monsieur? » Le motard retira son casque. Une cascade de cheveux ténébreux à moitié trempés tomba se coller au cuir humide de son blouson.
« Ce sera mademoiselle... » répondit Cat avec un sourire espiègle aux hommes stupéfaits du restaurant.

O N E . H O U R . L A T E R

Cat finissait les restes de sa tarte aux champignons assise au zinc. Les bûcherons l'y avaient rejointe avec leur bière et Jo avait discuter avec elle durant son repas, de l'autre côté du zinc. La famille était partie pour coucher les enfants fatigués. Cat était une chic fille. Elle avait laissé le petit garçon jouer sur son casque et avait prit un moment la petite fille sur ses genoux pour lui apprendre à faire une poupée avec une serviette en papier. Depuis que la famille était repartie, le regard de l'adolescente s'était perdu dans le vague. Jo avait mit ça sur le compte de la fatigue. « Je vous sert un café, Miss ? » Cat acquiesça avec un faible sourire. Jo se figea et la fixa du regard. Très lentement, il se pencha vers elle et lui caressa la tempe du bout des doigts, écartant de longues mèches brunes de son front. Les bûcherons émirent des sifflements. Eux aussi pouvaient maintenant le voir. Un énorme hématome qui avait prit une salle couleur et que Cat avait caché sous ses cheveux. Jo l’avait entr’aperçu alors qu’elle avait acquiescé, faisant bouger ses mèches de cheveux.

« Vous avez des problèmes, Miss ? » demanda l’un des bûcherons. Il était très jeune, de quelques années plus agé qu’elle. « Un coup pareil, ça se prend pas en moto. Pas avec le casque que vous avez. » Cat ne répondit pas. Elle se contenta de lui adresser un doux sourire et de mettre du sucre dans le café que Jo venait de lui apporter. « Si vous avez des problèmes avec votre père… » commença-t-il. « Mon père n’a rien à voir ça ! » coupa Cat avec un ton qu’elle aurait voulu moins brutal. Sa phrase sonnait comme un déni de réalité. Elle lui en voulait, beaucoup même, mais pour des raisons totalement différentes. « Je vous assure, » reprit-elle de son ton habituel, doux, sensuel, et étonnement mûr pour une adolescente. « Il se trouve sur la côte Est, à New York. » « Et ce bleu, c’est quoi alors ? » demanda le plus jeune des bûcherons. Les deux autres demandèrent en même temps, « A New York ? » « Mais qu’est-ce qu’il y fiche, votre père à New York ? » Cat ne répondit pas. Elle bu son café silencieusement. Jo et les bûcherons furent un moment étonné. Elle avait les manières de ces filles de la ville, son petit doigt en l’air, sa façon de croiser les jambes, de s’exprimer. Et pourtant, tout en elle, de son blouson de cuir à l’hématome de sa tempe, indiquait qu’il s’agissait-là d’une fille de mauvaise fréquentation. Jo réalisa que c’était de ce paradoxe qu’émanait le mystère et l’hypnose que l’entrée de la jeune fille avait lancé sur ses clients...

« Combien s’il-vous-paît ? » demanda Cat à Jo en mettant une main dans une poche interieure de son blouson. Ces bûcherons étaient attachants à s’inquiéter pour elle, surtout le plus jeune, mais elles ne voulait plus de questions. « 11,50 dollars, ma grande. » lui répondit Jo. « Pourriez-vous m’indiquer un motel dans les parrages, messieurs ? » demanda-t-elle aux bûcherons pendant que Jo lui rendait la monnaie sur le comptoir. « Rottenrroot Loan » répondit aussitôt le plus jeune. « C’est là qu’on dort, Miss. » « On peut peut-être vous amener ? Cat ne répondit pas tout de suite. Elle sourit au plus jeune des bûcherons, qui était vraiment très mignon. Il était petit mais musclé, et son air mouillé et mal rasé lui donnait un charme viril. Mais elle n’était pas d’humeur ce soir. Elle soupira et secoua lentement la tête. « Merci, mais Vincent va m’y ammener » « Vincent?! » s’étonna Jo. Les yeux de Cat eurent soudain des étincelles et son sourire devint cent fois plus ravageur. « Ma moto. Une Vincent Black Lightning. » Les quatres hommes eurent une exclamation d’admiration et se tournèrent en commun vers l’exterieur, là où quelque part sous la pluie sombre, devait se trouver la machine. Cat eut un clair éclat de rire, comme une jeune vierge à qui l’on venait de faire un compliment. Avec un clin d’œil consolateur au plus jeune des bûcherons, elle renoua ses cheveux d’ébène et son visage espiègle disparu sous son casque de moto. Sa main gantée passa au-dessus des pièces de monnaie et une minute plus tard, le son tonitruant de la Black Lightning s’éloigna dans la tempête, les coups de tonnerre remplissant le silence qu’elle avait laissé derrière elle.

« Les gars, elle a bien touché le zinc ? » Les bûcherons se retournèrent vers Jo. Celui-ci fixait d’un air hébété là où la main de Cat était passée quelques minutes plus tôt. « Pourquoi, tu veux graver son nom dessus ? » le taquinèrent les bûcherons en éclatant de rire. « T’es mordu, Jo!!! » Ce dernier s’efforca de rire avec ses habitués. Trop de mystère entourait cette adolescente, il avait du imaginer des choses. La fatigue, sans doute. Mais pendant un instant, il aurait juré que les pièces de monnaie avaient parcouru toutes seules le centimètre qui les avaient séparées de la main gantée cuir noir…