À défaut d'être seul... (Pv Lynda)

Le coude contre le comptoir, je fixe indescriptiblement les personnes qui passent devant moi à l’allure de cannetons dévergondés. Mes yeux me piquent de fatigue tant les nuits d’insomnies s’accumulent et où le temps du repos proprement dit avait littéralement reculé de dix pieds. La pénombre m’empêche de bien discerner les traits et surtout, les degrés d’alcool étaient présents en masse dans les trois verres que je venais de m’enfiler. Un apéro, dirait-on, comme je n’en avais plus prit depuis des années. Une cuite magistrale pour un homme qui ne méritait que ça. J’avais tout tenté, tout espéré afin de pouvoir inhiber les effets dévastateurs de mon don. La drogue en a fait également partie. J’étais dans ce genre de période transitoire où, poussé par le peu de proche qu’il me restait, je tentais de diminuer les doses, voire d’arrêter net. Alors, pour compenser, je me laissais à la débauche…du moins, l’une des débauches les plus respectées ici…

L’heure tourne et je ne bouge pas de mon siège, tenant effroyablement bien l’alcool, j’avais énormément de mal à me faire « oublier ». Car la majorité du temps je me faisais rattraper par ces émotions qui me rentraient dedans comme des piques impartiales. L’avantage était que je me concentrais sur celles qui me faisaient vaciller légèrement la tête à chaque battement de cœur, presque à la manière de palpitations hasardeuses.

« Vous voulez quelque chose d’autre ? »

J’hoche la tête, redemandant la même chose. Je soupire, le visage marqué. La musique est relativement potable à l’écoute et je me laisse bercer jusqu’à l’approche de la fermeture du pub, fixée aux alentours d’une heure et demie du matin. Le verre glisse jusqu’à moi et je le remercie. On s’esclaffe grassement derrière mon dos, un groupe de retardataires, sans doute. Ils étaient deux et plutôt saouls, je dirais même plus que je ne pouvais l’être. L’avantage était que je ne partais pas en vrille après quelques verres, au contraire, je m’affalais comme une vieille merde. Chacun son truc…

Je suis le seul qui reste dans cette pièce avec le barman, ce qui incite les deux idiots à insister. Je décide finalement de pivoter légèrement sur moi même, leur plantant un regard lourd en sous entendus au milieu de leur visage.

« Un problème ? »

Le problème en question s’additionna bien vite puisqu’il renversa une table en hurlant. L’autre menaça le barman d’une arme blanche, chose que je ne vis arriver qu’au dernier moment. La rage incontrôlée ressentie par ces deux énergumènes s’engouffra dans mon corps et mon esprit. J’étais moi-même prit dans cette spirale de colère qui s’intensifia au fil des secondes. Je me suis alors levé, le poing serré. Sans avoir le temps de riposter.

Encore une soirée de plus à traîner dans les rues de New-York sans le moindre but. Du moins, si on met de côté celui, presque permanent chez moi depuis un bout de temps, de me soûler à mort. Toujours aussi fatiguée de cette vie de merde. Vraiment. L'idée même d'arriver à décrocher de cette violence, de me maîtriser, de vivre une vie normale, me semble toujours plus irréalisable. Et dire que je n'ai même pas encore trente ans ... Est-ce que je vais vraiment mourir ainsi, seule, sans personne pour pleurer mon départ ?

Je lâche un profond soupir et courbe le dos. La culpabilité et les remords sont toujours plus pesants chaque jour. Un homme me bouscule en grommelant, sans s'excuser. Mes poings se serrent aussitôt, et je retiens in extremis la poussée d'adrénaline qui s'amorce. Le quadragénaire d'âge mur qui me fait face croise alors mon regard et s'écarte avec précipitation, comme si je venais de montrer les crocs. Sage précaution. Il aurait suffit d'un rien pour que je me déchaîne.

*Calme-toi, ma vieille. Il en vaut pas la peine !*

Mes épaules sont alors secouées par un rire qui m'amène au bord de la crise de larme. Une existence normale, pour moi ? Impossible, vraiment. Qui voudrait donc côtoyer un monstre aussi incontrôlable ? Je serre les mâchoires à m'en faire mal.

*Pourquoi moi, bordel ? Pourquoi ?*

Le coup de poing part dans le mur, me meurtrissant les phalanges. Aïe. Je me force à respirer lentement, doucement. En vain. Je n'arrive pas à faire le vide. La soif en profite pour refaire son apparition. J'ai la gorge pâteuse, mon pouls s'accélère rien qu'à l'idée d'un verre. Un tremblement imperceptible commence à saisir mes mains. Heureusement, je repère un bar non loin dont je garde un vague souvenir, mais au moins neutre. Autrement dit, je suis sûre de ne m'être jamais battue là-bas. Ça fera l'affaire.

Sans marquer la moindre hésitation, je traverse la rue presque déserte et rentre à l'intérieur. Je marque alors un temps d'arrêt devant le spectacle qui s'offre à moi. Un bar presque vide, c'est l'idéal. Deux abrutis qui s'en prennent au barman, ça l'est moins. Surtout quand l'un d'eux a un surin dans la main ! Dire que pour une fois, je ne cherchais pas la bagarre ...

Le deuxième butor se tourne alors vers moi, exhibant une batte de baseball. Je lève immédiatement les mains en signe d'apaisement, dans un réflexe sûrement futile. Il a l'air en rogne. Un règlement de compte en perspective ?

- Toi tu bouges pas, salope !

Zen. Respirer. Ne pas s'énerver. J'ai pas besoin de ça; là. Faut que je me fasse petite, et défense de rire. Je recule d'un pas en direction de la porte. Lâche ? Ouais, si on veut. Chacun ses problèmes, et le barman, c'est pas mon pote. Et je ne suis pas un foutu superhéros !

- Hey, calme, mec. J'veux pas d'emmerdes, moi !

Tout en gardant les mains levées, je cherche à regagner la sortie, sans hâte. C'est presque fait, quand je commet une erreur. Une seule. Je quitte Batte-de-baseball des yeux une fraction de seconde, instinctivement, alors que j'actionne la poignée de porte. Je ne perçoit qu'un mouvement flou du coin de l'oeil. Seuls mes réflexes aiguisés par des années de combat m'évitent de me manger son coup de plein fouet. Mais la douleur n'en éclate pas moins, au sommet de mon crâne. Et avec elle, sa vieille compagne, la rage, rapplique aussitôt.

- Toi ...

L'hyperadrénaline se répand déjà dans mon corps. Je ne peux plus réfléchir. Neutraliser la menace, voilà tout ce qui compte. Mon poing percute aussitôt ses côtes, dont deux semblent se casser sous l'impact. Son cri de douleur résonne comme une douce musique à mes oreilles. Ou plutôt, comme une invitation à faire couler le sang. Je pourrais le neutraliser en un coup, cet amateur. L'expédier au tapis, en un instant.

Mais la rage sauvage me submerge déjà, noyant les faibles appels de ma conscience. Alors qu'il se crispe encore sur sa blessure, mon pied amorce déjà un nouveau coup qui le percute au poignet, dans un craquement sinistre. Puis c'est le tour du genou, du thorax, de la cheville, et des côtes. C'est tout juste si j'arrive à rester assez lucide pour ne pas le tuer. Un direct dans la mâchoire finit par lui donner le coup de grâce.

Sans même marquer d'arrêt, je me retourne déjà vers son complice, prête à attaquer à la moindre hostilité. Et j'espère qu'il y en aura ...

Bonjour :D

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