Les rayons du soleil filtrant à travers les rideaux épais de la chambre, Shawn cligna finalement des paupières plusieurs fois, émergeant doucement du sommeil réparateur qu’il s’était accordé. Se frottant les yeux pour chasser les dernières traces de la nuit, il quitta son lit et permis enfin au jour de se déverser complètement dans la petite chambre. Toujours un peu perplexe, il se rappela en passant dans le salon avoir plus ou moins rêvé qu’il prenait le thé et le café accompagné d’un loup qui parle et d’un âne en peluche géant. Etrange. Voit même carrément flippant.

Vérifiant l’heure, il constata que comme il l’avait pensé c’était déjà le début de l’après-midi. Rien n’avait bougé au salon et tout était exactement comme il l’avait laissé hier soir, ou plutôt très tôt ce matin. Avec sa tasse posée sur la table basse, un fond de café froid à l’intérieur et à côté son carnet de dessin toujours ouvert à la page sur laquelle il avait passé une bonne partie de sa nuit. C’était d’ailleurs l’esquisse finement travaillé d’un énorme loup gris. Comme quoi il fallait qu’il arrête le dessin, le café et les gâteux passé minuit. Ca ne réussissait vraiment pas à ses nuits.

Attrapant seulement la tasse, il avait poursuivi sa routine jusqu’à la cuisine, histoire de la nettoyer avant de s’en resservir pour son café de post-réveil. Prenant un beignet au passage, il s’était ensuite réinstallé dans son canapé histoire d’émerger doucement. C’était le calme après la tempête. La tranquillité après la course des dernières semaines. Et si au début il avait apprécié, il commençait un peu à s’ennuyer. A croire qu’il n’était pas fait pour le calme et la monotonie. Il semblait avoir un constant besoin de nouveauté ou d’un minimum d’action. Un sourire traversa son visage en pensant à la tête de ceux qui le voyait comme le type toujours serein, s’il savait. Ramenant la tasse vide à la cuisine, son regard se posa sur la série de post-it placardé sur la porte du frigo, dont un qui lui rappelait qu’il devait absolument passer à la librairie pour s’acheter une série de livre.

Alors il était sorti, prenant à peine le temps de ranger ses affaires, le carnet de croquis toujours abandonné sur la table avec le reste du matériel. Il avait savouré pleinement la légère brise, le beau temps et l’agitation habituelle des rues, avant de savourer tout autant l’ambiance calme et discrète de la petite librairie pas trop loin de chez lui. Shawn n’était peut-être pas un très grand lecteur, mais il savait apprécier un bon livre à l’occasion. En plus il avait toujours trouvé les librairies et les bibliothèques fascinantes. C’était pour lui comme entrer dans un monde à part, un monde qui paraissait vivant et en même temps figé.

S’arrêtant devant l’un des rayons, il commençait à chercher du regard les ouvrages qui l’intéressait, mais se retrouva obliger de se décaler et de se coller contre l’étagère pour faciliter le passage de plusieurs personne. C’est qu’il prenait de la place avec sa carrure ! Reculant enfin, il se dégagea de la bibliothèque, son coude cognant au passage dans celle derrière lui. Bibliothèque où se trouvait une belle pile de livre en attente de rangement sur le dessus. Et comme la maladresse de Shawn ne faisait pas les choses à moitié, les livres ne manquèrent bien évidemment pas de chuter et de lui tomber sur le crâne, dans un bruit qui ne manqua surement pas d’attirer toute l’attention de la tranquille petite librairie.

Bras levé au dessus de la tête dans un maigre espoir de protection qui n’avait pas servi à grand-chose vu le pavé qui trainait à ses pieds, le mutant se précipita pour ramasser sa nouvelle bêtise au plus vite et ainsi ne pas s’attirer d’ennui, ne prêtant pas attention aux regards qu’on pouvait lui jeter. De toute façon, il était plus qu’habitué maintenant.

Elle avait hurlé. Elle s’était étranglée dans son sommeil, dans ce cri qu’elle étouffa en reprenant contenance, en reprenant son souffle. La vive douleur qui lui perçait le dos depuis la veille en deux endroits qu’elle connaissait par cœur à présent avait tôt fait de lui faire faire des cauchemars. Elle serait rapidement rappelée. Elle serait ramenée à la «maison», si elle pouvait nommer l’endroit comme tel, pour une «taille» de principe. Et ça l’angoissait. Ça l’angoissait tant qu’elle n’en trouva plus le sommeil malgré l’heure matinale. Elle s’obligea à se lever, à se glisser dans son jeans, dans son pull, à dégager sans ménagement sa chevelure qu’elle laissa retomber à même ses épaules et son dos. Elle glissa ses pies nus dans ses chaussures usées, attrapa les clés de la chambre qu’elle comptait rendre ce matin-là de toute façon et sortie, prenant d’un pas rapide, la direction de l’accueil dont elle poussa la porte. L’endroit était encore sombre, éclairé tout juste par une lumière de secoure. Elle déposa la clé sur le comptoir et s’en retourna aussi silencieusement.

Elle erra ainsi un instant jusqu’à entendre, parfois, le tintement des portes des petites boutiques, les machineries que l’on démarre, l’odeur de l’essence fraiche, du poisson, les son des grilles que l’on remonte, les visages baillant, les corps ayant peinés à sortir du lit sans doute. Elle traina d’abord devant une pâtisserie, s’y arrêtant en voyant le petit panneau Open du bon sens, à travers la vitre de la porte, le présentoir fraichement remplie. Elle glissa ses mains froide dans le fond de ses poches pour en tirer les quelques billets qu’il lui restait. Ils faisaient toujours attention à ce qu’elle ne manque de rien, mais il n’y avait jamais de surplus pour les folies. Il n’y avait que l’essentiel : dormir, se laver, se nourrir et sa «mission». Elle vivait et avait toujours vécu dans un univers où l’exubérance n’avait pas sa place. Où la normalité n’existait qu’à moitié. Ou rire et prendre du bon temps n’était qu’un luxe qu’elle ne pouvait se payer. Dans un monde où la moindre contradiction lui valait quelques cris. Dans un monde où elle devait se tenir droite. Dans un monde où elle n’était rien. Dans un monde où, tant qu’elle était utile, elle vivrait. Elle frissonna à cette pensée et entra dans la petite boulangerie où elle s’acheta un petit pain, suffisant pour la soutenir, et suffisant aussi pour qu’elle n’en fit aucun gaspillage.

Elle traina ainsi quelques heures dans les heures, sentant toujours le tiraillement particulièrement douloureux, sentant la mutation lui percer la chair lentement, à petit feu. C’est dans un gémissement étouffé qu’elle se prit le visage à deux mains, en songeant que ce n’était pas ça, vivre. Elle se comparait à tous ces gens qu’elle rencontrait, dont elle cherchait tant bien que mal à se montrer indifférente, sans émotion, en sachant qu’elle devrait les trahir de toute façon.

Puis, elle se leva d’un coup, traversa quelques rues encore et, brusquement, s’arrêta au tintement d’une cloche, porte s’ouvrant puis se fermant doucement, devant une petite librairie. Elle n’avait jamais mis les pieds dans ce genre d’endroit. À vrai dire, elle n’avait jamais véritablement eu l’occasion de lire un bouquin autre que des manuels et directives sur papier. Il ne lui restait plus grand-chose, mais puisqu’elle trainait inutilement depuis le début de la journée, elle se glissa à l’intérieur de l’endroit. Elle perçu d’abord immédiatement l’odeur de l’encre. Elle longea une première rangée, lisant chaque mot, chaque titre, chaque nom d’auteur qui s’offrait à son regard curieux. Dans la rangé suivante, elle se décida enfin à en saisir un, plus qu’un autre, blanc à l’écriture rouge pour orner sa reliure. Elle ouvrit le livre, en renifla l’odeur agréable et le remit parfaitement en place, comme s’il n’avait jamais bougé de là. Le cœur gros, elle s’apprêtait à sortir en coup de vent, rapidement, pour mettre de côté ce sentiment de normalité pour revenir à sa propre réalité lorsqu’un vacarme la fit sursauter, tout près, un peu plus loin dans la mince rangée. Elle fixa le dos courbé du type qui s’était penché pour ramasser son catastrophique accident. Son instinct lui indiquait de faire demi tour. Et d’un autre côté…

Elle rit. Tout simplement, elle rit, brusquement, doucement. Elle s’approcha et, dans son dos toujours, s’étira sur la pointe des pieds pour saisir un livre qui n’était pas tombé, et le serrer contre sa poitrine, question qu’il ne lui tombe pas aussi sur le jeune homme pour rejoindre le restant de la pile étalée un peu partout.

—Je vais t’aider, donne…, lança-t-elle finalement en se penchant pour ramasser un livre rebelle qui s’était un peu trop éloigner des mains de l’homme. Ça va, la tête?

S’inquiétait-elle réellement? C’était dans sa nature de s’inquiéter pour les gens qui l’entourait. Mais c’était aussi dans sa nature de jouer un rôle mensonger.

Un rire. Un petit rire doux, c’est ce qu’il entendait pas très loin de lui, alors qu’il s’était accroupi pour ramasser la dizaine d’ouvrages qu’il avait délogé de leur perchoir. Loin d’être vexé ou blessé par ce petit son, il se prit lui-même à sourire en imaginant la scène qu’il avait du donner. Sentant la présence approchante dans son dos, il essayait de se dépêcher de ramasser les derniers livres encore par terre, mais la silhouette à ses côtés désormais avait été plus rapide. Redressant légèrement la tête, son regard rencontra les iris bleus de la demoiselle blonde qui l’avait rejoint.

« Merci » s’était-il empressé de répondre, son sourire s’étirant un peu plus quand elle s’était inquiétée de l’état de sa tête. « Tant qu’elle reste sur mes épaules, elle devrait survivre. Je vais sans doute avoir droit à une bosse, mais j’ai connu pire. »

Il n’était pas si lointain que ça le jour où Shawn c’était retrouvé embarqué dans une fusillade sanglante. Ca n’était pas une aventure anodine non, d’ailleurs ça l’avait changé, le faisant murir un peu plus. Pour la première fois il avait tiré sur des personnes et il n’avait pas simplement blessé, il avait tué. Il n’avait pas eu a hésité, c’était ça ou mourir, c’était pour sauver ses amis, mais ça l’avait quand même fait énormément réfléchir. Il avait apprécié pouvoir être utile et venir en aide aux autres, il avait pris meilleur conscience de son potentiel et de ce qu’il pourrait réaliser s’il s’en donnait les moyens. Non pas que finir sa vie à travailler dans un garage ne lui déplaise, mais il se rendait compte désormais qu’avec son potentiel, il pouvait offrir bien plus que ce genre de service à la communauté. Shawn avait depuis longtemps ce côté protecteur et patriote qui lui avait donné envie un temps de suivre les traces de son père. C’était son frère qui s’était montré la voie de la raison pour une fois et lui avait fait comprendre que ça ne lui correspondrait pas et aujourd’hui il pouvait donner raison à son petit frère. Ca aurait été la même chose en intégrant la police sans doute, ça ne lui aurait pas déplu, il aurait apprécié, mais avec le temps ça ce serait sans doute compliqué.

Non Shawn, avait fini par trouver sa voie et ce n’était ni l’armée, ni la mécanique, ni les études, mais belle et bien l’école de pompier où il était entré depuis peu. D’ailleurs les livres qu’il était venu chercher dans la librairie était ceux qu’il souhaitait lire pour compléter sa formation. Se redressant livre dans les bras, il les replaça en haut, les calant mieux cette fois-ci pour ne pas qu’ils retombent, avant de tendre la main vers celui toujours serré par la jeune femme.

« Tu veux que je le range ou c’est qu’il t’intéresse ? »

Il avait apprécié la sollicitude de la blonde, mais après tout elle n’était peut-être pas venue se perdre dans ce rayon juste à cause de lui. Se passant une main à l’arrière de la tête pour vérifier que la bosse n’avait pas déjà fait son apparition, il sourit de cette bonne humeur qui était sienne.

« Encore merci en tout cas, au fait moi c’est Shawn. »

Il n’avait jamais vraiment été du genre timide, mais plus anxieux à l’idée de peut-être dérangé ou gêné. Shawn aimait profiter de toutes les occasions qui s’offrait de faire simplement connaissance, plutôt que de chacun repartir de son côté. Et aujourd’hui l’occasion était trop belle pour la rater, surtout avec une personne à l’air aussi gentil que celle qui venait de l’aider.

Elle avait sourit, légèrement, comme si elle ne savait rien faire de mieux à ce moment précis. Elle n’avait pas réagit parce qu’elle s’y était sentie obligée. Elle ne s’était pas approchée uniquement parce que c’était dans son intérêt personnel de faire connaissance avec toute sorte de personnes. Et peut-être, pour une fois, n’avait-elle pas envie de s’éterniser sur les mêmes questions, comme une parfaite petite menteuse. Elle souriait, le sentait du moins, sincèrement. Non pas pour plaire aux regards d’autrui. Ne serait-ce parce que ça l’avait véritablement amusée, quelques secondes. Et qu’elle avait toujours aimé mieux rire que pleurer, même si les sanglots refoulés étaient son lot quotidien. Elle aima son humour. Elle aima cette amabilité. Elle aima cet air un peu insouciant, comme si rien ne pouvait vraiment arriver de grave. Un comme s’il demeurait tête haute, même lorsque le ciel lui tombait sur la tête. Ou une pile de livres. Elle fit une moue, pencha la tête un brin sur le côté. Rit de nouveau. Elle attrapa une mèche folle qui lui barrait la joue et releva la tête, de cet air songeur nouveau.

—Les bosses sur la tête, il n’y rien là. Tout ce qui ne te tue pas, tu sais…, nouveau sourire. Forcé. Il n’y verrait peut-être que du feu. Ou pas. Elle ne voulait pas se montrer amère. Ou plutôt ne le devait pas. C’était une belle journée et elle avait encore l’odeur du pain imprégné dans les cheveux. Non, c’était une belle journée qu’elle ne voulait pas gâcher. Pas comme ça. Une belle journée, bien malgré tout.

Elle garda le livre serré contre elle encore un instant, fixant momentanément la main tendue vers elle. La blonde était dotée d’un orgueil aussi gros que la planète. Elle passa iris d’azure sur le brun puis sur la pile de livres qu’il avait remis en place et songea que de toute façon, elle était bien trop haute pour qu’elle y dépose le sien, confortablement, tout au haut de la pile. Et elle, elle était minuscule. Puis elle baissa les yeux sur le livre qu’elle détacha finalement de son corps, ayant un drôle de rictus faussement vexé.

—Un livre sur la pousse des Bonzaï m’intéresserait? Pas vraiment, déclara-t-elle enfin, se levant sur la pointe des pieds, étirant le bras au maximum pour atteindre de dessus de la pile. Un peu vainement. Elle se décala et le déposa à côté. Non pas qu’elle n’acceptait pas qu’on lui donne un coup de main. Mais qu’on l’ait forcé à toujours se débrouiller toute seule avait amené chez elle ce petit côté à ne pas chercher l’aide de qui que ce soit.

Elle se passa une main contre son bras droit raide, tendu vers le sol, entre maladresse et assurance. À vrai dire, c’était une drôle de situation qui ne s’était encore jamais produit : elle n’était que rarement celle qui prenait les devants. Et pour tout dire, elle devait souvent jouer de l’attirance, trop timide qu’elle était, sans doute, pour aborder d’elle-même les gens. Et ça faisait tout aussi bien, remarquez.

—Hooo… Je ne sais pas quoi dire? De rien? laissa-t-il tomber avec un léger haussement des épaules, comme quoi ça n’avait jamais vraiment eu d’importance, n’ayant jamais pris l’habitude des douceurs ou des politesses qu’on lui accordait parfois, en dehors de son sombre univers. Je m’appelle Yuliya. Et de prendre un air plus sérieux. Vous devriez sérieusement songer à faire soigner cette vilaine bosse, monsieur Shawn, elle est si grosse qu’on dirait un ballon de football poussant derrière cette tête.

Oui, bon, pour l’humour pourri, on repassera. Mais ça lui venait spontanément, comme ça, et bien malgré elle.

Main toujours tendu en attendant de voir ce qu’elle souhaitait faire du livre, il ne put empêcher un sourire idiot d’apparaitre sur son visage. Les petites moues et mimique qu’adoptait la jeune femme face à lui était de son point de vue, simplement adorable. Ca lui donnait un petit air d’enfant, sans rien enlever de son air mature, si bien qu’il trouvait ça simplement adorable. A tel point qu’il avait envie de poursuivre la discussion juste pour voir cet air quelques secondes de plus et pour son plus grand plaisir elle ne l’ignora pas lui et son humour particulier.

Un nouveau sourire, beaucoup plus mature celui là. Shawn souriait très souvent, mais il y avait une infinité de sorte de sourire, chacun avec son sens, sa signification ou son occasion particulière. La jeune femme avait entièrement raison, ce qui ne nous tuait pas nous rendait plus fort, mais pouvais quand même parvenir à nous amocher comme il fallait. Heureusement parfois il était possible de rencontrer des personnes aptes à réparer ses dommages et à atténuer le mal que ça pouvait faire. La vie nous envoi des épreuves comme on dit si bien, mais parfois elles sont insurmontable seul. Le mutant avant l’impression de comprendre en partie ce que pouvait penser la demoiselle blonde. Le fait qu’elle n’est pas complétée le dicton peut être. Comme une impression qu’elle n’y croyait pas complètement elle aussi. Comme si elle savait ce qu’il pouvait également cacher.

Après le sourire, ce fut un petit rire qu’elle récolta. Pas moqueur pour un sou, mais amusé par sa phrase et son geste pour ranger elle-même l’ouvrage. Shawn avait toujours ce côté gentleman qui dépassait sur le rebord et si certain trouvé ça charmant, il était tout à fait conscient que beaucoup d’autre puisse trouver ça agaçant. Et puisqu’il ne parvenait pas toujours à y mettre un bémol, il était au moins capable de ne pas insister et de ne pas se vexer pour ça. Conscient de son malaise, il préférait au contraire rebondir avec son humour coutumier, espérant l’amener une nouvelle fois à rire de ses pitreries.

« Il existe bien un livre sur l’histoire des toilettes…et pour qu’un tel livre ai été imprimé c’est bien que le sujet devait intéresser du monde, alors la pousse des bonzaïs c’est assez normal à côté. Et de toute façon chacun sa passion ! Tu aurez tout à fait le droit de te passionner pour ce genre d’arbre et personne n’aurait rien à y dire. »

Shawn atteignait vraiment des sommets de bêtise avec cette histoire de toilettes. Comme s’il n’avait pas pu trouver mieux ou plus intelligent à placer dans la conversation. Certes il voulait signifier à la jeune femme qu’il n’était pas juge des autres et qu’elle pouvait bien se passionner pour ce qu’elle voulait, mais là…ça serait une chance qu’elle ne s’enfuit pas immédiatement ou ne le prenne pour un lourdaud. Ca expliquait même certainement la gêne qu’elle pouvait ressentir après ses remerciements. Il allait devoir se rattraper avant qu’elle ne le fuit, surtout qu’elle semblait vouloir rattraper le sujet tant bien que mal en repartant sur son histoire de bosse.

Ne se faisant pas prier plus, il sauta sur cette porte de sortie qui lui était offerte après cette lamentable tirade. A croire qu’il ne pouvait s’empêcher de se couvrir de ridicule à un moment ou un autre devant chacune de ses connaissances. Et si d’habitude ça ne le déprimait pas plus que de raison, aujourd’hui il avait quand même fait très fort. Alors qu’en la voyant s’approcher de lui et commencer à discuter il n’avait eu qu’une envie, celle de continuer, poussé par sa curiosité. Il se lança dons dans une dernière tentative de rattrapage.

« C’est un très joli prénom…très original »

Il le pensait sincèrement. Ca avait une consonance étrangère, qui n’avait rien de déplaisant et surtout en le répétant plusieurs fois dans sa tête il avait l’impression d’entendre murmurer une magnifique fleur. Passant finalement  sa main à l’arrière de son crâne il fit exprès de prendre un air plus paniquer qu’il ne le devait avant de demander d’une voix où pointait l’amusement.

« Vraiment ? Je vais avoir besoin de ton aide alors. Mais puisque tu n'es pas intéressé par les Bonsaï, lequel de ses livres a attiré ton attention jusqu’ici ? »

C’était toujours cette curiosité et cette envie de bavarder et qui faisait de Shawn une personne assez ouverte malgré ses hésitations intérieures. Oui il était curieux de ce que voudrait lui apprendre cette petite blonde qui s’était si gentiment porté à son secours alors que rien ne l’y obligeait.

Ça n’avait jamais été de l’agacement qu’elle avait ressenti. Mais il était dans sa nature propre de tenir absolument à tout faire par elle-même, sans demander d’aide, ne serait-ce que pour se donner un peu d’importance, ne serait-ce que pour se sentir plus forte qu’elle ne l’était vraiment, au fond. Ce n’était sans doute qu’un air qu’elle se donnait parce qu’elle avait l’impression qu’il le fallait, ne serait-ce que pour survivre, ne serait-ce que pour pouvoir continuer à avoir l’illusion de marcher librement dans les rues de New-York, en sachant tout de même que ce n’était pas le cas. Elle se berçait d’illusions qu’un jour, il en serait autrement. Mais Shawn avait sourit, doucement, tout simplement, sans insister. Sans lui arracher le livre des mains en voyant qu’elle peinait tout de même pour le remettre à sa place. Elle n’était pas, après tout, une des ces filles pendue aux bras des hommes. Elle n’en faisait qu’à sa tête, comme si elle cherchait absolument à leur montrer qu’elle pouvait en faire autant qu’eux, sinon plus. Et elle s’étonna elle-même à rire une nouvelle fois, aux éclats, sans la moindre retenue. Sincèrement, tout simplement parce qu’elle en avait envie, tout simplement parce qu’il l’a faisait rire.

Et d’un coup, elle s’empourpra, ses joues prenant cette teinte rosée inhabituelle. Son prénom n’était pas forcément original de là où elle venait. C’était celui de Shawn qu’elle n’entendait jamais, plutôt. Ou qu’elle entendait un brin plus que le sien maintenant qu’elle était ici. Mais elle gardait encore un vague souvenir de ses quelques années passées en sa terre natale. Un vague souvenir qu’elle n’était pas certaine d’associer au positif ou au négatif. Elle se souvint surtout de la solitude. Elle se souvint des regards : une enfant ailée, ça ne se voyait pas tous les jours, après tout. Alors on l’a caché. Puis, ils l’ont trouvé. Ils l’ont trouvé et l’ont emmené ici, dans l’ignorance, dans la peur, sous la menace. Ils l’ont brisé. Ils ont anesthésié sa mutation, tout simplement. Douloureusement.

—Merci, susurré, doux, presque chuchoté pour toute réponse. Décidément, elle ne savait pas très bien comment s’y prendre pour démontrer sa reconnaissance, ou était-ce son plaisir? Elle se contentait habituellement de sourire, sans rien dire. Parce que sourire lui permettait de mentir derrière ce visage masqué. Mais elle se sentait dans l’obligation de dire quelque chose… ou peut-être simplement parce qu’elle ne souhaitait pas mettre un terme à ce dialogue.

Son sourire doux revint tout de même au galop sous le commentaire. Elle eut un petit air espiègle et fit un pas en avant, daignant faire un mouvement vers lui, ne serait-ce qu’en levant une main avec laquelle elle frôla son front, plissant du nez, prenant un air sérieux.

—Hey, bien, monsieur le patient, votre bosse est assez grave. Elle vous provoque une fièvre délirante. Le meilleur remède reste le chocolat chaud.

Était-ce une invitation? Forcément, elle n’agirait pas ainsi autrement, n’est-ce pas? C’était un peu ridicule. Ou était-ce parce qu’elle aimait le contact, en sachant que peut-être, elle ne le reverrait plus?

Elle avait ri. Il avait tout imaginé après son histoire de livre bizarre, qu’elle s’excuse et parte immédiatement, qu’elle le regarde étrangement, qu’elle lui reproche de connaitre des lectures de ce genre, mais non. Pour son plus grand bonheur elle avait ri, d’un rire sincère et pas de gêne ou de pitié envers sa personne. Surement sans le savoir, elle venait de lui faire le plus beau des cadeaux, illuminant son être et son humeur pour le reste de la journée, voir de la semaine. Pourquoi tant d’émotion pour un simple rire ? Parce qu’il avait cet humour parfois idiot, parfois mordant mais qu’on ne comprenait pas forcément ou que l’on n’appréciait que quelques minutes. Bien sûr il y avait des exceptions à ce phénomène et pour le moment Yuliya semblait bien en faire parti.

Alors en remerciement pour son sourire il l’avait complimenté tout simplement. Shawn aimait à dire les choses tel qu’il les voyait. Même les plus simples, même les plus banales, mais c’était toujours sincère et tant pis son on pouvait rire de lui. Une lueur malicieuse passa dans ses yeux quand il nota le rougissement de la demoiselle et un instant il imagina qu’il pourrait parfaitement s’amuser à le provoquer une fois de plus tellement elle pouvait être adorable. Mais il ne la connaissait pas assez, bien qu’il commençait franchement à ne demander que ça, et ne voulait pas prendre le risque de passer pour ce qu’il n’était pas vraiment. Il avait déjà assez tenté sa chance aujourd’hui pour risquer une fois de plus de faire mauvaise impression. Il était joueur sur plusieurs choses certes mais il n’était pas méchant.

Alors il avait continué de sourire, curieux de ce qu’elle allait faire en la voyant se rapprocher, puis amusé quand elle avait posé sa main sur son front tel une infirmière experte. Et le diagnostic l’enchanta une fois de plus. Si en plus le prenait par les sentiments, enfin par ceux de son estomac, il ne pouvait que se montrer comme le plus docile des patients. Et même si elle n’avait proposé de poursuivre la rencontre la première, Shawn l’aurait fait pour avoir le plaisir de discuter encore et encore et en profiter pour mieux connaitre la jolie blonde. Parce qu’il appréciait les nouvelles rencontres et pouvait partir à discuter de tout et n’importe quoi avec de presque inconnus. Et aujourd’hui ne faisait pas exception.

« Je me dois d’écouter et de suivre l’avis médical alors ! Et puis il est de notoriété public que le chocolat chaud et le remède le plus efficace pour bien des maux. Une chance qu’il y ait un café à quelques pas d’ici… »

Le jour où il faudrait prier Shawn pour accepter une invitation n’était pas encore venu. Tant pis pour les livres qu’il était venu chercher. Ils avaient déjà attendu et pourraient attendre encore et ce n’était après tout que pour assouvir une curiosité personnelle dans son tout nouveau domaine d’activité. Il n’avait pas encore quitté le garage, ayant tout de même un petit pincement au cœur mais son choix était quand même fait.

« Allons-y ! Puisque c’est grave je préfère ne prendre aucun risque. »

Il sourit une fois de plus, avançant un peu pour sortir du rayonnage, jetant un regard un brin timide vers la jeune femme. Timide parce qu’il ne croyait pas encore complètement à sa chance soudaine et qu’il avait peur qu’une fois dehors elle ne lui dise qu’elle n’avait fait ça que pour plaisanter et qu’elle refusait de le suivre plus. Oui il suffisait d’une simple rencontre pour que Shawn se sente comme un gosse et c’est pour ça qu’il les aimait tant, même si aujourd’hui il ne mesurait pas encore à quel point cette journée était placé sous le signe de la chance et de tout le reste.

Il était aimable. En fait, elle ne le réalisait pas encore, mais ce petit air amusé qu’il lui accordait était peut-être la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Son propre petit sourire léger et frivole s’élargit davantage lors qu’il se décida à jouer sur le même terrain qu’elle. Ou était-ce elle qui s’était décidée de jouer sur le sien? Elle ne savait pas ce qui lui prenait. Ce n’était pas franchement dans ses habitudes. Elle jouait toujours un jeu, prenant la carte du mensonge. Elle semblait avoir toujours celle de la sincérité un peu naïve, beaucoup plus naturel, chez elle, que tous ces masques qu’elle s’efforçait de porter nuit et jour. Mais ce n’était pas elle, n’est-ce pas? Et qu’est-ce qui l’était réellement? Ça? Ce bardage un peu bête et naïf? Elle retomba sur ses talons, parce qu’il était tout de même bien plus grand qu’elle, mine de rien, croisant les bras, gardant ce petit air ravis, ce petit air doux, un peu flottant sur ses traits. Toutefois, elle dû bien se fit à son avis quant à savoir s’il y avait un café dans les parages, ne connaissant pas forcément très bien l’endroit, s’étant d’abord arrêté dans la petite librairie parce qu’elle s’y était sentie attirée inévitablement. Ou peut-être était-elle simplement poussé jusqu’ici, jusqu’à lui? Cette idée la perturba, une seconde, pendant laquelle elle observa le grand brun devant elle.

Elle lui emboita le pas doucement, décroisant les bras au passage, lorsqu’il se décida à bouger. Et plus elle y réfléchissait et plus elle se disait qu’elle pourrait le faire, être naturelle, tranquille, comme n’importe qui. Juste oublié, une seconde, qu’elle n’était pas tout à fait n’importe qui. Juste oublier qu’en temps normal, peut-être ne se seraient-ils jamais rencontrés, puisqu’en temps normal, justement, elle avait des ailes immenses qui prenaient toute la place. Et qu’elle ne serait jamais sortie en publique avec elles. Et pourtant, elles lui manquaient douloureusement, comme une part d’elle-même dont elle était privée depuis trop longtemps. Dire que le tout avait soigneusement été organisé par le destin? Sans doute pas, mais elle pouvait tout de même se poser des questions à ce propos.

Shawn se retourna vers elle u ne seconde et elle ne pu s’empêcher de noté ce petit air étrange qu’il affichait soudainement, ne serait-ce que peut de temps. Était-ce un malaise, de la gène? Elle n’aurait su dire avec exactitude. Or, elle se contenta de lui décrocher un nouveau sourire doux. Ils se retrouvèrent finalement dans la rue, entre les quelques passants. Elle se tourna vers son nouveau compagnon, tout sourire aux lèvres et s’arrêta là, un instant. Elle lui révéla qu’elle n’avait pas la moindre idée du chemin prendre et qu’elle ne connaissait pas l’endroit du café. Elle lui raconta qu’elle était une véritable paumée à New-York depuis qu’elle y avait mise les pieds et, en riant, qu’elle ne croyait pas un jour pouvoir s’adapter.

Aussi préféra-t-elle le laisser être le guide de ses pas le temps de quelques minutes, le temps de repéré l’endroit, le temps de pousser la porte et de s’engouffre dans le café pourtant pas si populaire à cette heure de la journée. Et c’était bien tant mieux, d’ailleurs. Elle démontra une fois de plus toute l’orgueil présent dans ce seul petit corps qui refusait décidément un peu de galanterie. Elle ne dirait pas qu’elle n’avait pas forcément beaucoup les moyens pour ce genre d’extravagance, mais tant pis. Aussi se posèrent-il à la première table libre, d’où en fait elle pouvait avoir une vue circulaire sur l’endroit, pour son plus grand bonheur, d’ailleurs, comme si tout faisait en sorte qu’elle soit parfaitement sereine, ne serait-ce que le temps d’un chocolat chaud.

—Tu mets un rayon de soleil dans ma journée, lâcha-t-elle soudainement, brusquement, sans crier gare, un peu timidement, même. Parce qu’elle réalisait que c’était exactement ce qu’il faisait : la sortir, involontairement, sans doute, de son quotidien. Et c’était très bien ainsi.

Aujourd’hui était indéniablement un jour de chance de son point de vue malgré les dix livres qui s’était jetés sur lui et plus particulièrement sur sa tête. Parce que des maladresses il lui en arrivait plusieurs fois par jour tous les jours, mais on ne s’arrêtait pas à chaque fois pour participer à ses pitreries ou pour engager ainsi la conversation. Shawn était un grand gaillard au cœur tendre ce n’était pas nouveau. Parce qu’il avait mal vécu le départ de sa mère et de son petit frère et que tous les déménagements qu’il avait eu avec son père ne lui avait pas toujours laissé le temps de sympathiser comme il le souhaitait. Alors chaque rencontre, chaque moment à ne pas être tout seul, ça avait toujours beaucoup compté par le passé. Il avait eu longtemps peur de s’attacher, du moins jusqu’à ce que son frère revienne. Après ça il avait fini par comprendre qu’il fallait s’ouvrir aux autres et que la gentillesse était toujours appréciée. Alors oui, il en fallait peu pour qu’il s’attache, peu pour qu’il s’implique et peu pour qu’il angoisse. On lui avait déjà reproché d’être trop gentil, d’être un peu trop niais aussi et même une fois de ressembler à une guimauve ce à quoi qu’il n’avait pu que répondre que les guimauves était délicieuses et qu’il était content si on pouvait l’apprécier de la même façon. Tout ça parce qu’il adorait les boules de poils, rendre service et qu’il avait conservé chez lui quelques peluches en souvenir… Enfin il n’avait encore jamais provoqué d’overdose de gentillesse alors c’était le principal.

Il savait se laisser approcher facilement et donner envie d’y rester et ça lui convenait parfaitement, même si ça n’étais pas le cas à chaque fois. D’où ce moment de doute quand il avait commencé à vouloir quitter la librairie pas encore certain qu’elle voudrait le suivre. Ils étaient sortis, tous les deux timides bien que pour des raisons différentes, mais ça ne dura pas. Elle acceptait de le suivre jusqu’au café du quartier, le faisant intérieurement sauter de joie, s’empressant de jouer le guide pour la conduire jusqu’au petit coin vendeur de chocolat et de gourmandise. Elle ne connaissait pas bien New York, mais il pouvait tout à fait comprendre lui-même n’en étant pas originaire de base et s’était ainsi perdu plus d’une fois.

« Oh ne t’inquiète pas je connais bien ce bloc, c’est un peu mon quartier. Je pourrais te faire visiter et t’aider à te repérer un jour…enfin si tu as le temps…et envie…et si tu vis par ici bien sûr… »

La libraire n’était pas si loin de son appartement et il en était de même pour le café alors si Yuliya habitait dans le coin il serait ravi de l’aider. Et puis ça serait une bonne occasion de la revoir. Toujours courtois, toujours galant il avait d’ailleurs tiré la porte pour lui laisser le passage. Un peu ringard peut être mais ça lui paraissait normal, comme de raccompagner les gens chez eux ou de payer l’addition le plus souvent. Désormais installé à une table libre, ils attendaient qu’on vienne prendre leur commande, avant qu’un grand sourire n’apparaisse sur ses lèvres quand elle lui avoua illuminer un instant sa journée. En tout cas il en était ravi.

« A ton service alors et prêt à recommencé quand tu veux. Je suis ravi de pouvoir être utile…Ta journée avait si mal démarré que ça ? »

Pour que la jeune femme trouve ses pitreries et âneries assez intéressante pour lui remonter le moral c’est qu’elle devait vraiment passer un mauvais jour, ou avoir vraiment des problèmes très envahissant. Et ça le peinait un peu au fond parce qu’elle lui semblait vraiment être quelqu’un de gentil et d’attentionnée. La preuve quand elle l’avait aidé alors que la plupart des autres n’avait fait que de le regarder étrangement sans bouger.

« Enfin le chocolat chaud est aussi un très bon remède contre les baisses de morale. Et si ça ne marche pas je m’engage à te faire rire avant la fin ! Foi de Shawn ! »

Oui il avait envie de l’aider et de la voir sourire encore et encore. Le serveur arrivant à leur table en leur demandant ce qu’il souhaitait, il lui fit un nouveau sourire rayonnant et un peu bête. Etrangement elle semblait l’attendrir encore plus qu’à son habitude, ce qui était quand même quelque chose quand on connaissait bien la nature profonde de Shawn.

Son quartier. Il demeurait dans les parages. Par réflexe, ou était-ce par habitude, elle nota cette information quelque part, dans un recoin de sa tête, alors qu’elle lui souriait toujours, alors qu’elle se décidait à lui emboiter le pas quelques minutes, quelques instants. Pouvait-elle lui dire qu’elle n’était pas elle-même certaine à cent pour cent de l’endroit où elle vivait? Que ce n’était jamais le même? Qu’elle n’avait pas de réel chez soit et que c’était plutôt un toit qu’on lui prêtait en échange de ses services, gratuit, soit dit en passant, puisque le paiement qu’on lui offrait, c’était un minimum de répits, de quoi se nourrir, et la mince liberté qu’elle avait de marcher en pleine rues new-yorkaises, et ce, en très bonne compagnie. En très bonne compagnie qu’elle savait pourtant éphémère mais qu’elle voulait peut-être faire durer plus longtemps. Ne serait-ce que parce que ça lui semblait un peu différent, un peu réconfortant. Un peu plus naturel, surtout. Alors quoi? Elle allait lui dire qu’elle ne le reverrait probablement pas parce qu’elle n’en avait ni le temps ni l’envie? Pas l’envie parce que rencontrer quelqu’un, s’était souvent pour déterminé s’il y avait mutation ou pas, et même si l’idée lui passa par l’esprit, elle n’y songea pas. Ou du moins, elle ne tint pas à y songer. Pas maintenant. Pas là. Pas sur ce coin de rue. Pas sur ce petit nuage douillet. Mais elle avait finalement tournée la tête vers lui, et ce fut le plus naturellement du monde qu’elle lui répondit qu’elle demeurait un peu plus loin, dans un petit motel, rendant visite à un peu de famille du côté de son père… Elle lui avoua ne pas connaître New-York parce qu’elle n’était pas native de là. Elle n’était pas même native des Amériques du nord. Elle lui avait tout dit ces conneries à l’air pourtant innocentes et pourtant d’une fausseté incroyable. Comme s’il n‘y avait pas plus vrai que ses histoires. Elle ne savait rien de lui, après tout… Mais elle se sentit étrangement coupable, du moins plus que d’ordinaire, de jouer un jeu qui ne lui avait pourtant jamais plu.

Lorsqu’il la questionna, assis à la table, à savoir si, en fait, sa journée était si mauvaise que ça depuis le matin, elle s’efforça de conserver un air jovial, celui-là même qu’elle avait depuis le début, mais elle sentit son masque souriant faiblir un instant, dans sa propre réflexion. Puis, elle joua avec ses doigts, sous la table, en repensant à sa matinée. En repensant à demain, à hier… et sourit de nouveau en l’observant, secouant finalement la tête, légèrement, ne serait-ce que pour rejeter de côté son trouble momentané.

—Hé bien, tu as déjà gagné ton pari, monsieur le maladroit qui s’échappe une pile de livres sur la tête, lâcha-t-elle finalement sur le ton de la taquinerie pure. Vrai, il avait déjà réussi à lui faire sentir ce petit sentiment doux de naturel, de spontanéité qu’elle n’avait pas toujours ou plutôt qu’elle dissimulait au fond d’elle-même, comme si elle avait un peu peur qu’on ne voit son véritable elle-même et qu’on ne s’en serve pour l’atteindre. Comme une barrière protectrice qu’elle s’imposait à elle-même.

Lorsque le serveur revint, elle avait reniflé l’odeur de la boisson chaude et sucrée, comme si son odeur seule suffisait à lui redonner cette humeur contagieuse dont il semblait avoir effet sur elle. Et en but une première gorgée imprudente et grimaça un peu douloureusement en sentant la morsure de la brulure sur sa langue. Décidément, ça ne lui ressemblait vraiment pas.

Elle n’était que de passage alors et ne resterait que le temps de la visite à sa famille. C’était dommage. Il trouvait ça dommage, s’étant déjà imaginé à jouer les guides pour elle dans une relation amicale de voisin de quartier. C’était peut-être rapide. Peut-être l’était-il un peu trop à déjà prévoir ce genre de choses, mais n’était-ce pas ça la magie des rencontres ? Un instant, une discussion, un moment partagé mais qui suffisait amplement à créer un lien ou un début d’affection. Que ce soit une simple amitié ou bien plus. Et au fond c’était sans doute ce qu’il espérait, plus, même s’il n’en avait pas forcément conscience. Mais le sort jouait contre lui puisqu’elle ne semblait même pas vivre à New York. Nullement défaitiste, il savait saisir les occasions et comptait bien profiter de celle-ci autant qu’il pourrait. Etre nostalgique et s’en apitoyer il aurait largement le temps de le faire après. Alors il avait continué le plus naturellement du monde à simplement discuter, à juste continuer de faire connaissance. C’était sans doute un peu fou, de chercher à en savoir plus, à se connaitre alors qu’on savait d’ors et déjà qu’on risquait de ne pas se revoir. Il s’en fichait. La passion domine la raison, c’était une loi universelle et Shawn en était l’exemple parfait.

Ils avaient ainsi tous deux commander le fameux chocolat dont Shawn rêvait depuis qu’elle lui en avait parlé, son estomac se réveillant instamment à l’idée de pouvoir assouvir une énième gourmandise. Assis à la table, il n’avait pu s’empêcher de pousser plus loin la découverte de la jolie blonde, prêt à se montrer oreille attentive à ses problèmes même s’ils se connaissaient à peine. Une chose qu’on pourrait croire qu’il avait oublié d’ailleurs, se comportant comme si ils étaient déjà amis. Ce fut le léger trouble qu’il vit passer sur son visage avant qu’elle ne fasse comme si et secoue la tête négativement, qui lui rappela cette dure réalité. Son sourire revint vite néanmoins quand elle lui assura qu’il avait d’ors et déjà réussi à la faire plus que sourire avant même d’être arriver ici.

« Ce n’est pas parce que c’est déjà gagné que je ne peux pas continuer tu sais. Et puis pourquoi se contenter d’un rayon quand on peut avoir le soleil entier ? »

Ok là il se vantait légèrement mais ça avait été plus fort que lui, comme toutes ses taquineries habituelles qu’il avait l’habitude de sortir avec les personnes dont il était vraiment proche. Il s’apprêtait à rajouter une dernière plaisanterie mais fut coupé par l’intervention du serveur qui lui déposa sa tasse sous son nez, faisant de même pour Yuliya, ne manquant pas au passage de lui adresser œillade, sourire et compliment le tout au nez et à la barbe de Shawn. Ce n’était pas forcément de grandes avances mais ce n’était pas des plus discrets non plus. Il n’était pas forcément du genre jaloux ou possessif et même s’il veniat juste de rencontrer la blonde il n’appréciait pas vraiment l’initiative alors que lui-même essayait de faire connaissance. C’était comme de venir piquer dans l’assiette des autres, ça ne se faisait pas.

Agacé, il tendit la main vers sa tasse, le chocolat lui permettant sans doute de se détendre et d’ignorer cet idiot de serveur, mais dans sa hâte, il toucha plus brutalement que prévu la petite anse, renversant la tasse de porcelaine dont le contenu fila sur la table et terminant sa course sur les vêtements de Yuli. Maladroit, il se leva, se rapprochant et se confondant en excuse auprès de la demoiselle, attrapant quelques serviettes pour essayer de nettoyer les dégâts.

« Je suis vraiment désolé, je suis vraiment maladroit. Je crois que tu vas avoir besoin de te changer, j’ai vraiment pas fait les choses à moitié. Tu ne t’es pas brulé au moins ?»

Lui attrapant la main, il l’aida à se lever, éloignant au passage le serveur qui accourait avec de nouvelles serviettes en papier. La pauvre ne pouvait pas rester ainsi avec ses vêtements imbibé de chocolat et Shawn se sentant responsable, il n’avait désormais en tête que l’idée de la raccompagner chez elle. Terminé la petite pause tranquille, il avait mis les pieds dans le plat une fois de plus, mais là ça le peinait terriblement. Déposant quelques billets sur la table, il entraina Yuliya vers la sortie, se confondant toujours en excuse, la main de la blonde toujours serré dans la sienne en geste doux et totalement inconscient.

Et puis pourquoi se contenter d’un rayon quand on peut avoir le soleil entier? Elle avait sourit, d’abord, par principe, puis s’était laissée distraire une seconde par ses réflexions à ce propos… puis s’était empourprée, une nouvelle fois. Peut-être Shawn ne voyait pas ce qu’il venait de dire sou l’angle dont elle venait de le percevoir. Mais sans doute aurait-elle effectivement pu prendre le soleil entier qu’il était de toute évidence, comme un câlin brulant pour la réchauffer. Elle sourit de nouveau, se décidant à finalement ne pas relever le commentaire, question de ne pas se glisser sur cette pente qui lui faisait inévitablement monter le rose aux joues. Le serveur arriva d’ailleurs pile à ce moment, l’obligeant à reprendre contenance une seconde… ou du moins à empirer ce petit élan de rougeur décidément collé à son visage sous les quelques compliments. Elle avait remercié, vaguement, parce que c’est tout ce qu’elle pouvait sans doute dire en cet instant, et avait posée les yeux sur sa tasse, glissant ses doigts contre la porcelaine chaude. Elle voyait déjà le serveur se redresser lorsqu’il Shawn bougea de son côté de la table. Mais elle vit aussi l’expression sur le visage de l’employé, écoutant le petit son que fit le grand brun fasse à elle face à la catastrophe imminente. Qui ne tarda pas à littéralement lui tomber dessus. Elle ne vit pas exactement la scène par elle-même, mais elle le sentit, ça, se fut inévitable. Elle sursauta au contact du liquide qui lui dégouta dessus comme une cascade. Elle s’apprêtait à rassurer son compagnon que ce n’était rien, mais déjà il se levait. Déjà il déposait sur elle quelques serviettes pour éponger le maximum du produit sucré. Et elle souriait, étrangement, se retenant de ne pas rire. C’était peut-être son élan de panique qui lui donnait cette envie de rire, ou simplement son comportement. Elle n’avait d’ailleurs pas réellement eu le temps ni l’occasion de placer un mot lorsqu’il glissa, sans crier gare, sans main contre la sienne pour la tirer hors de la table, hors du café, s’engouffrant à l’extérieur avec un empressement qu’elle ne lui connaissait pas. Ou une impulsion, peut-être.

—Shawn…, lacha-t-elle doucement, une fois dehors, alors qu’elle le suivait parce que c’est ce qu’il semblait vouloir faire, fuir sa gène, la fuir elle, peut-être. Du moins tenta-t-elle de couper à toutes ses excuses qui lui lançaient.

Puis, elle en eut assez. Elle serra sa main dans la sienne et s’arrêta, brutalement, tirant sur le bras du grand brun qu’elle força à se tourner vers elle, d’un mouvement doux mais pourtant autoritaire.

—Shawn! Arrête, ça va! Je te jure que ça va… Se ne sont que des vêtements.

Elle ne s’était pas vraiment rendu compte non plus qu’elle ne lui avait pas lâché la main. Par réflexe? Par envie? Une chose était certaine : ça ne la mettait pas mal à l’aise, bien au contraire. Même si elle était pleine de chocolat, ce n’était qu’un détail par rapport à tout le reste. Et elle réfléchit, une seconde, ou deux, ne serait-ce que pour se trouver une solution pour calmer les pauvres nerfs du brun autant que pour lui éviter de découvrir qu’elle dormait dans un motel répugnant et sans doute insalubre. Elle lui décrocha donc un sourire taquin autant que rassurant. Elle ne lui en voulait pas, après tout.

—Mais je gèle trempée comme je suis et chez moi c’est un peu trop loin… tu ne m’imagines tout de même pas monter dans un bus comme ça?

Bon, elle jouait sans doute avec ses sentiments, sur ce point, mais son petit ton amusé était tout à fait enclin à lui montrer à quel point la situation l’amusait plus que ne la dérangeait. Et c’était sans doute un prétexte qu’elle se trouvait pour rester près de lui un peu plus longtemps que prévu…

Difficile de vouloir rester soi-même quand on était un Mr Catastrophe des plus efficaces. Difficile de ne pas paniquer et de ne pas s’inquiéter quand l’accident inévitable arrivait alors qu’on priait intérieurement pour que tout continu à se dérouler sans encombre. Difficile de ne pas s’en vouloir quand on pensait également avoir tout gâché. Et dans la panique sans doute était-il encore plus maladroit que d’ordinaire, d’autant plus quand il savait son regard à elle posé sur lui. Parce qu’il avait beau être du genre spontané et un peu rapide, il avait beau dire qu’il ne faisait que connaissance, il avait d’ors et déjà accroché plus qu’il ne l’imaginait. De son air timide, de son sourire angélique, de sa détermination et de sa force fragile, il avait déjà commencé à les apprécier. Il respectait néanmoins les convenances, ne voulant pas se précipiter, ne voulant pas la faire fuir.

La panique de la catastrophe le poussait néanmoins à agir de façon tout autre, le poussant à prendre des devants qu’il n’aurait normalement pas osé dans l’immédiat. Mais peut-être n’était-ce là qu’une volonté supérieure d’accélérer les choses et de le pousser hors de ses limites pour ne pas manquer le coche. Sa réaction était démesuré, mais c’était Shawn et lui ne voyait que l’affreuse conséquence de sa bêtise, sans voir qu’il n’y avait pas vraiment mort d’homme. Dans le cas contraire, sans doute aurait-il remarqué que Yuliya apportait bien moins d’importance à se retrouver avec des vêtements taché de chocolat que lui et que sortir ainsi pour la raccompagner n’était pas vraiment nécessaire. Il aurait voulu effacer sa maladresse, revenir en arrière et faire plus attention en attrapant cette tasse mais il n’en avait pas le pouvoir. Alors ils l’avaient entrainé dehors, persuader que de toute façon après ça elle n’aurait que l’envie de partir et en prenant les devants il pensait se laisser une chance de ne pas la voir disparaitre tout de suite.

Il ne savait pas même où il allait et heureusement la blonde se décida à reprendre les choses en mains, le forçant à s’arrêter en sentant la tension nouvelle dans son bras quand elle s’était stoppé, le forçant à ralentir et à se retourner s’il ne voulait pas casser ce contact qu’il avait initié sous la panique. Et maintenant que le calme semblait revenir, il n’en avait pas plus envie, profitant qu’elle n’avait pas non plus envie de s’éloigner. Alors il se rapprocha, penaud, avec cet air de petit garçon qui sait avoir commis une faute et qui en ait sincèrement désolé parce qu’il ne l’a pas fait exprès. Oui de bien des côtés Shawn avait gardé une part de son âme de gamin.

« Désolé. »

Il s’était excuser une fois de plus, mais commençait à voir qu’elle ne lui en tenait pas rigueur contrairement à ce qu’il avait craint et semblait même s’amuser de lui. Il en était plus rassuré avant de constater que son empressement n’avait fait que mettre la jeune femme dans une situation encore moins confortable que dans le café avec seulement ses vêtements couvert de chocolat collant. Ce n’était en soi déjà pas agréable et l’air extérieur n’avait semble-t-il rien arrangé. Et c’était à son âme de jeune homme serviable de revenir au pas de course à cet instant.

« Non tu as raison en effet. On peut aller chez moi si tu veux bien ? On sera au chaud et je pourrai te donner de quoi te changer. C’est le minimum que je puisse faire pour me faire pardonner d’être un grand idiot maladroit. »

Il tenta un léger sourire, son calme revenant malgré tout, retentant quelques pas en avant, bien que plus doucement cette fois. Il serait sorti avec une veste de chez lui sans doute la lui aurait-il proposé quand elle avait dit avoir froid, ce contentant pour la peine de doucement la rapprocher de lui le temps du chemin jusqu’à son appartement. Un appartement où ils arrivèrent sans le moindre nouvel incident, Shawn ouvrant la porte et laissant la place pour que la jolie blonde entre se mettre au chaud. Même s’il n’avait pas complètement rangé avant de partir, il n’y avait rien pour le mettre à nouveau mal à l’aise, sa tasse ne trainant plus la table, seul son carnet y séjournant encore.

"Installe toi je vais voir si je trouve quelque chose pour toi."

Il avait filé dans la chambre, se dépêchant au passage de remettre les couvertures en place dans un ordre proportionnel à sa hâte. Fouillant dans la penderie pour sortir ce qu'il avait de plus petit et le remettre à Yuliya.

La première chose qu’elle fit en le voyant se retourner vers elle fut de sourire, doucement, sincèrement, attendrit de ce petit air qu’il lui offrait, un peu gamin, plein de reproches qu’il se faisait lui-même. Comme on s’attendrissait devant un chaton ou elle ne savait trop quoi d’autre encore. La tête qu’il faisait alors sembla le rajeunir, brusquement, de quelques années. Elle soupira doucement, gentiment, en l’entendant de nouveau s’excuser au près d’elle. Pas comme s’il ne l’avait pas fait une centaine de fois depuis qu’ils étaient sortis du café. Aussi avait-elle serrer un peu plus ses doigts dans sa grande main pour lui faire comprendre que ce n’était pas la fin du monde et que, vraiment, ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Enfin, froid, un peu, tout de même, sous les courant d’air, maintenant que le liquide s’était refroidit et un peu figé dans ses vêtements. Elle ne put retenir un nouveau soupire un peu agacé de l’entendre se traiter d’idiot. Et elle secoua la tête, haussa les épaules et lui sourit davantage, ne serait-ce que pour qu’il cesse de se rabaisser.

—La maladresse et l’idiotie sont deux choses opposées, tu sais? Tu es grand, tu es maladroit, mais tu es tout sauf idiot…

Et elle eut un petit gloussement amusé, tout simplement. Elle se foutait gentiment de sa gueule. Elle riait de la situation pour l’amenuiser, pour lui enlever toute l’esprit de drame qu’il devait s’être imaginé. Elle opina finalement de la tête, suivant son mouvement, plus léger, pour reprendre sa marche, et ça la rassurait de le voir un peu plus calme à présent. Comme quoi une petite douceur, un petit mot, un petit sourire pouvait faire des miracles sur le caractère d’un homme. Elle avait noté son mouvement pour la tenir près de lui et elle ne s’y était pas opposée, le jaugeant du coin de l’œil, songeant que ça ne lui était pas désagréable, songeant, qu’en fait, elle pourrait bien continuer comme ça longtemps. Et puis songeant, enfin, que ce n’était pas dans ses habitudes de se serrer volontiers contre un homme, et encore moins de ne pas lui lâcher la main. Ce n’était pas dans ses habitudes parce que ce n’était pas un sentiment qu’elle avait eu l’occasion de connaitre, réellement, jusqu’à maintenant, et elle ne savait sans doute pas encore jusqu’où ça pourrait aller.

Lorsqu’ils arrivèrent finalement à l’appartement, elle ne s’était pas vraiment rendu compte qu’elle lui avait lâché la main pour se glisser à l’intérieur, évidemment plus chaud que l’extérieur, ça, elle le perçu bien. Elle avait opiné de la tête, s’était serrée dans ses vêtements souillée et l’avait observé filer en quatrième vitesse vers une des pièces de l’appartement. Après quoi seulement elle se permit de détailler l’endroit, dans sa petitesse, dans sa sobriété. Elle s’était avancée jusqu’à la petite table et, par curiosité pour l’homme plus qu’autre chose, elle glissa une main sur le carnet qu’elle osa ouvrir doucement, sans déplacer l’objet lui-même. Et sourit. Largement. Amusée. Tout simplement, en constatant un intérêt dont il ne lui avait pas encore fait part. Et s’il ne le faisait jamais? Ce n’était pas comme si elle s’imaginait un jour le revoir, n’est-ce pas? Pourtant… Pourtant il y avait bien ce petit quelque chose de tracassant dans son esprit qui lui donnait envie de revenir lui serrer la main, une fois de plus. Ou peut-être davantage, comme une aise qu’il lui fournissait et qu’elle n’avait jamais perçu avec quiconque jusqu’à maintenant.

Elle se redressa et abandonna son exploration du cahier de dessins, sur la table, et releva sa tête à la chevelure un peu emmêlé à présent. Puis elle eut un nouveau rire en constatant les vêtements. Elle s’en doutait, mais voir la scène l’amusait plus que de raison. Elle se glissa jusqu’à lui, lui prenant les vêtements sans doute mille fois trop grande pour elle (ils n’avaient absolument pas la même stature…) et se hissa sur la pointe des pieds, pour, discrètement, glisser un doux baiser de remerciement sur sa joue, tout simplement, comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle du monde.

—J-j’emprunte ta salle de bain…

Aussitôt dit aussitôt fait, elle s’était éclipser vers la petite pièce, refermant la porte derrière elle, sans trop se rendre compte qu’elle ne fermait que difficilement, n’y prenant d’ailleurs pas garde sur le coup. Elle retira son haut, qui avait été plus touché que le reste, ne voyant pas la nécessiter de se changer complètement, qu’elle replia et qu’elle déposa sur le comptoir avant d’enfiler ce qu’on lui avait prêté et d’étouffer un nouveau rire en se regardant dans la glace. Décidément, elle avait l’air ridicule. Était-ce un mal? Ça ne lui faisait rien. C’était étrange plus qu’autre chose, loin d’être habituée, qu’elle était, aux petites attentions de ce genre.

—C’est un peu grand, quand même, mais… t’as fait beaucoup pour moi, avait-elle lâché en sortant finalement, serrant son propre tissu contre elle, comme quoi elle comptait peut-être le ramener… ou simplement le jeter quelque part. En même temps, ça devait bien faire des années qu’elle le portait, ce haut.

La jeune femme semblait avoir parfaitement cerné le caractère et les pensées qui pouvaient traverser Shawn, en profitant pour doucement le taquiner et en même temps le rassurer complètement de tout ce branle bas de combat qu’il s’était imaginé. Alors il l’avait regardé du coin de l’œil un instant, cette lueur d’amusement et de plaisir pétillante, signe de toute l’appréciation qu’il pouvait lui porter. Peut-être son esprit avait-il un brin de masochisme pour ainsi rechercher et aimer les personnes capables de lui donner du répondant, de le remettre sur le banc de touche ou de tout simplement s’amuser de tout ce qu’il pouvait dire. Pas méchamment certes et toujours dans cet esprit de jeu et de plaisanterie, ce que Yuliya arrivait à faire. Alors continuant le chemin jusqu’à chez lui il avait souri, se gardant bien de lui dire que si, il était idiot. Pas un idiot imbécile certes ça il en était loin, mais un idiot impulsif et têtu en revanche ça lui correspondait bien.

Le reste du chemin lui apparut trop court au final et s’il était heureux que la blonde puisse se mettre au chaud chez lui, il regrettait également de ne plus avoir de prétexte pour sentir sa présence contre lui et qui l’avait laissé rêveur tout du long. Et s’il s’était fait la remarque mentale de ne pas trop en faire pour une première fois, il était de plus en plus mal partie quand on reconsidérait le fil des événements. Et la petite voix de sa conscience pour lui dire qu’au fond ça n’avait pas d’importance n’était certainement pas là pour lui faire changer quoi que ce soit à la situation. Revenant à l’idée première qui les avait amenés jusqu’ici, Shawn se décida à laisser la jeune femme seule quelques instants, filant au pas de course dans sa chambre, retournant toute son armoire à la recherche de quelque chose qui pourrait remplacer le haut taché de Yuliya. Et le résultat n’avait rien de satisfaisant quand on prenait en compte la frêle silhouette de la blonde et celle bien plus grande et imposante du brun.

Il s’était finalement résigné à sortir un simple haut qui lui était parfois un peu juste, le présentant à la jeune femme, marmonnant de manière incompréhensible qu’il n’avait rien de mieux avant d’être totalement coupé par le contact auquel il ne s’attendait absolument pas. Et ses pauvres neurones était bien trop occupé à flotter sur un petit nuage en tournant sur eux même pour qu’il termine d’articuler le moindre mot, la laissant filer vers la salle d’eau sans qu’il ait le temps de faire plus. Il n’avait pas bougé immédiatement, avant de se demander si elle souhaitait aussi lui emprunter de quoi changer de pantalon bien que celui-ci ait nettement moins été touché par le chocolat. Il l’avait donc suivi vers la salle de bain, entrouvrant la porte, inconscient d’avoir laissé passer assez de temps pour qu’elle ait déjà entièrement quitté son vêtement. Il avait alors refermé aussi vite que possible, sans faire de bruit, sans qu’elle ne remarque rien. Il n’avait pas voulu jouer les voyeurs loin de là, c’était une autre maladresse comme il en avait tant fait aujourd’hui rien de plus. Et il s’en voulait, affreusement, parce que malgré son empressement à refermer la porte, ses yeux avaient quand même eu le temps de se poser quelques secondes sur le dos dévoilé de la jeune femme. Oui il avait vu les marques.

Le spectacle restait gravé, faisant se bousculer mille questions dans son esprit. Des questions sur ce qui avait pu arriver à Yuli. Décidant de s’occuper les mains pour mieux réfléchir, il fila à la cuisine, sortant deux mug du placard et s’activant à préparer un chocolat chaud qu’elle pourrait boire cette fois-ci et qui l’empêcherait de repartir tout de suite. Relevant la tête de sa préparation en l’entendant sortir, il jeta un œil, souriant rapidement de l’effet qu’elle donnait ainsi et pour ne pas éveiller le soupçon de ce qu’il avait pu voir.

« En effet, mais je ne pense pas avoir mieux à te proposer. Et puis c’est normal. Installe toi j‘arrive tout de suite. »

Il avait terminé de remplir les deux tasses aussi vite que possible, mais sans rien renverser de nouveau, retournant ensuite au salon pour la lui poser sous le nez avec son grand air de gamin, avant de prendre place dans le canapé.

« Tiens, après tout on s’était promis un chocolat, surtout si ma bosse continu de grossir. »

Sa tête ne lui faisait plus vraiment mal, mais ça lui évitait surtout d’aborder le sujet de ce qu’il avait vu, de lui demander si elle était maltraitée, quel genre d’accident elle avait pu avoir et tout un tas d’autres idées du même genre et surtout de résister à l’envie de la prendre dans ses bras et de lui apporter le peu de réconfort et d’aide qu’il pouvait. Il comprenait bien mieux désormais comment cette simple rencontre à la librairie avait pu illuminer ainsi le quotidien de Yuliya.

« Alors dis-moi tu restes longtemps en ville et tu as du temps pour des visites ou tu es juste de passage très rapide et tu n’as que le temps de voir ta famille ? »

Une question des plus banales, alors qu’il mourrait d’envie de satisfaire sa curiosité, mais ne le ferait pas. Il ne se permettrait jamais de s’immiscer ainsi dans sa vie privée alors qu’ils venaient à peine de se rencontrer. La blonde avait le droit à sa vie privée et à ses secrets comme tout le monde, même si les siens semblaient assez lourds. Alors oui il avait posé une question toute simple mais dont la réponse lui permettrait peut être d’espérer la revoir et c’était déjà ça.

Elle avait entortillé ses doigts dans le tissu des manches lorsque le brun lui avait tourné le dos un instant. Elle avait sourit, devant lui. Puis avait laissé l'expression se volatiliser, momentanément, par nervosité, peut-être. Par autre chose qu'elle ne comprenait peut-être pas tout à fait elle-même jusqu'à maintenant. Elle s'était glissée discrètement jusqu'au canapé sur lequel elle avait doucement pris place, comme si elle avait eut crainte d'en prendre un peu trop, bien que ce n'était pas le sentiment qu'il lui imposait. Au contraire. Elle n'avait pas ce malaise étrange de mentir perpétuellement. Et à vrai dire, elle regrettait l'avoir fait. Elle récupéra tout de même ce petit sourire franc en l'apercevant, comme s'il s'agissait d'un automatisme lorsqu'il tournait son visage dans sa direction. Elle tendit les mains pour attraper la tasse qu'il lui donnait, laissant la chaleur douce se coller à la peau de ses doigts, de ses paumes, de son être. Soulagement satisfaisant. Tout n'était pas perdu, en fin de compte. Ce n'était certainement pas elle qui aurait pris la peine de penser à refaire une tasse de chocolat chaud. Mais c'était bien pensé et certainement très apprécié. Mais elle fut contrainte, bien contre elle-même, non à cause de lui nécessairement, de faire disparaitre un instant cette petite jovialité toute innocente qui s'était installée chez elle le temps d'une gorgée. Le temps d'une gorgée et elle prenait un air soudain plus sérieux qu'au départ.

—Je t'ai mentie, Shawn. Je ne suis pas venue à New-York pour visiter ma famille. J'ai un peu honte de ma situation, et je raconte n'importe quoi. Peut-être parce que c'est ce que j'aurais aimé faire, tout en sachant que ce n'est pas possible.

Elle décida de parler, sans dire quelque chose de particulier. De parler d'elle-même parce que c'est ce qu'il semblait vouloir entendre, supprimant certains détails, peut-être. Et elle s'excusai, discrètement, de sa propre maladresse émotive, sans doute.

—Je n'en ai pas. Ou je ne crois pas en avoir. Je n'ai pas de maison ou de toit à moi. Je voyage de chambre en chambre en espérant peut-être pouvoir me poser quelque part. Alors oui, oui, je suis en ville un certain temps, aussi longtemps que nécessaire. Alors si tu veux, tu pourras me faire visiter ton petit monde. J'aimerais que tu me parles de ta famille, de ta vie, et peut-être te parlerais-je de la mienne, qu'en dis-tu?

C'était une bien étrange conversation, un bien étrange ''deal'' surtout, qu'elle tenait à faire. Peut-être tout ceci n'était dû, en fin de compte, qu'à ce drôle de quelque chose qu'elle ne parvenait pas encore à exprimer, ni à expliquer. Un drôle de quelque chose qui la tiraillait, sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte, qui la poussait à faire preuve d'une nouvelle curiosité sans doute toute naïve à connaitre son hôte du moment. Ou peut-être n'était-ce que ce regard familier et non pas froid, qu'il lui accordait qui lui donnait envie de faire connaissance.

Prenant place sur le canapé au coté de la jeune femme, Shawn prit le temps de savourer une gorgée de sa propre tasse, appréciant la chaleur que le liquide procurait avant de chercher à savoir s’il pourrait bel et bien la revoir. Il voulait vraiment tenter sa chance, apprendre à la connaitre plus, se rapprocher et gagner une place à ses yeux. Il avait pour ainsi dire flashé quand elle lui avait tendu se livre qu’il avait fait tomber et il avait peur de manquer quelque chose d’important ou de ne plus pouvoir la recroiser si il se laissait faire par sa maladresse. C’était déjà arrivé. Certain parlait de coup de foudre et s’il n’était pas vraiment sûr de l’avoir déjà vécu, il était néanmoins certain que cette rencontre avait quelque chose d’important, quelque chose de fort. Alerté par l’air sérieux qu’elle affichait, il reposa sa tasse, attendant avec regret que ses espoirs soient brisés, attendant qu’elle lui dise qu’elle n’avait pas plus de temps pour lui, n’imaginant pas qu’il puisse s’agir de toute autre chose.

Alors quand elle lui avoua simplement ne pas avoir été honnête sur sa situation, son cœur fit un bond de soulagement dans sa poitrine. Et bien qu’inapproprié face à ses révélations, Shawn était trop heureux de ne pas s’être vu offrir un non total et définitif. Il écouta le reste de ses paroles en silence, avec attention, sentant quelque peu l’émotion derrière toutes ses révélations que lui faisait la jeune femme. Sa vie n’avait pas l’air bien facile et sans doute le brun n’avait pas du trop aidé en la forçant ainsi à lui révéler quelques détails personnels alors qu’ils venaient juste de se rencontrer. Pris d’une impulsion soudaine, il chercha à lui saisir la main dans une geste de réconfort et de soutien, la laissant terminer avant de lui offrir son sourire le plus chaleureux possible.

« Hey, ne t’inquiètes pas, ça arrive à tout le monde de devoir mentir. On vient de se rencontrer alors je peux comprendre que tu ne sois pas prête à déballer ta vie et tes problèmes à un parfait inconnu. »

La vie n’était pas toujours facile, tout le monde connaissait un jour des hauts et des bas et bien souvent mentir était plus facile. Alors même si il ne savait pas exactement de quoi il était question, il comprenait parfaitement qu’elle préfère enjoliver les choses et sans doute paraitre plus normale. Il ne lui en voudrait certainement pas pour ça.

« Tu n’as pas avoir honte tu sais. Rien ne t’obliges à me raconter tout ça si tu n’en a pas envie, dis moi juste que c’est un sujet sensible et je n’insisterai pas. On peut très bien faire connaissance sans aborder notre vie entière. Je serai ravi de te faire découvrir mon monde si tu en as envie et de te parler plus de moi. Je n’en demande pas plus. »

Passant une main douce le long de son bras en geste de réconfort, il commençait à comprendre que Yuliya semblait avoir des problèmes et une vie bien plus complexe qu’il n’aurait pu l’imaginer. Il n’oubliait pas les blessures qu’il avait surprise, mais il attendrait. Oui Shawn attendrait qu’elle soit prête à lui parler d’elle, il était sans doute même prêt à accepter qu’elle ne le fasse jamais tant qu’elle acceptait de le laisser évoluer un peu à ses côtés.

« Tu sais si un jour tu as vraiment besoin d’un endroit où te réfugier, ma porte est toujours ouverte…Après comme tu peux le voir je vis seul, j’habite en appartement, je sais faire du chocolat et je suis actuellement en apprentissage chez les pompiers. D’autres questions ? »

Il lui fit un nouveau sourire avant de reprendre sa tasse posée sur la table et de boire une nouvelle gorgée. Il avait énumérer rapidement le principal de sa vie actuelle afin de montrer qu’il acceptait ce petit marché qu’elle proposait, attendant de voir avec curiosité quelles genres de questions elle chercherait à lui poser en premier.

C'était un bon échange, non? Il lui parlait de cet univers quelle ne connaissait pas et en retour, elle lui parlait un peu du sien, de ses doutes, de ce qu'elle ignorait et qu'elle aimerait probablement connaitre. Du moins, ça lui convenait. Peut-être pas tout. Il n'avait pas à savoir la noirceur. Mais il y avait du bon, tout de même, dans ce petit univers douloureux qu'était le sien. Elle ne s'était pas opposée à lui. À vrai dire, il était probablement le seul à réellement lui offrir cette drôle d'attention dont au fond, quelque part, elle raffolait. Elle ne dégagea pas sa main non plus lorsque celle plus masculine rencontra la sienne. Elle se surpris à imaginer quelque chose d'un peu plus que ce simple contact main à main, ou peut-être à vouloir un peu plus, mais se contenta de ce sourire léger qu'elle afficha, une fois de plus, comme si cette expression momentanément angoissée s'était effacée de quelques mots rassurants. Le terme ''on vient de se rencontrer'' lui fit un drôle d'effet. Comme si elle avait oublié ce détail. Ce n'était pas exactement l'impression qu'elle avait, à présent. Elle n'agissait pas ainsi avec un type qu'elle venait de rencontrer. C'était un peu comme si, justement, ce n'était pas la première fois. Comme s'il y avait cette drôle de complicité qu'on ne s'expliquait pas toujours. Elle secoua finalement la tête.

«Non, non, j'en ai envie. Je ne te dirais rien si ce n'était pas le cas.»

C'était peut-être seulement pour le rassurer qu'il ne l'obligeait absolument à rien, quoi qu'il en soit. Qu'elle choisissait de dire certaines choses de son plein gré, et dieu seul savait qu'elle était parfaitement apte à se taire. Elle ne le voulait pas, tout simplement. Elle sentait que si elle lui demandait de se dévoiler, qu'elle le lui devait à son tour. Parce qu'elle voulait connaitre. Elle voulait le connaitre lui, tout simplement, et que ça lui semblait le plus logique à faire. Simplement pour remercier. Simplement pour faire connaitre en retour, peut-être parce qu'elle s'était accrochée à lui plus qu'elle ne voulait encore l'avouer. Ce n'était qu'une première rencontre, n'est-ce pas? Elle avait pourtant l'impression que ça en faisait déjà quelques-unes.

Et puis elle rit. Tout bonnement. Bien volontiers. Sans trop savoir pourquoi exactement, peut-être juste parce qu'elle était suffisamment à l'aise pour ce laisser allé qui ne lui était pas tout à fait familier encore. Mais un marché était un marché, même s'il ne lui avait parlé que de chocolat chaud et des pompiers... détails qu'elle avait compris, d'ailleurs. C'était étrange de vouloir parler de soi à un homme qu'on ne faisait que rencontrer. Peut-être parce qu'elle sentait qu'il y avait quelque chose. Ou plutôt qu'elle souhaitait qu'il y ait quelque chose, à présent. Comme si, au fond, elle l'appelait à la garder près de lui.

«Alors... Je suis née en Bulgarie. Mais je suis arrivée en Amérique très jeune. Je n'ai ni frère, ni soeur. J'aime un peu goûter à tout. Je ne fais certainement pas un aussi bon chocolat chaud. À vrai dire, je ne cuisine pas beaucoup en général. Quoi d'autre? J'aimerais voyager, pourquoi pas.»

Ce qu'elle était en train de faire, c'était d'oublié le tracas pour une simplicité qui l'amusait et lui plaisait. Et elle rattrapa volontiers la main qui l'avait abandonnée quelques instants plus tôt, subtilement, comme un message subliminal, peut-être, tout en parlant de manière à ce qu'il ne s'en rende peut-être pas tout à fait compte, ou comme une réaction naturelle.

Entendre le rire de la jeune femme était bon signe pour lui, cela prouvait qu’elle était plus tendu, peut être un peu moins anxieuse. Il arrivait à la réconforter au moins et c’était déjà beaucoup. Entendre son rire ça le faisait aussi sourire un peu plus et il écoutait bien volontiers ce qu’elle lui racontait, ce qu’elle acceptait de lui laisser découvrir. C’était ce qu’ils avaient convenu après tout, échanger leurs histoires et si Shawn n’avait commencé que par quelques banalités c’était pour s’assurer qu’elle en avait bien envie et qu’elle ne se forçait pas à cause de sa présence curieuse. Et il fut encore plus heureux de la voir se laisser aller au point de revenir d’elle-même reprendre sa main qu’il avait lâché le temps de prendre une gorgée. C’était une petite bulle de chaleur et de douceur qui se formait, les englobant peu à peu, l’appartement se changeant en une sorte de cocon où ils pourraient se connaitre sans interruption, sans maladresse.

S’enfonçant un peu plus dans le canapé de cuir, il en venait à se dire que finalement ils allaient réussir à avoir une conversation un peu plus normale. Pour une première rencontre, elle avait été loin d’être très conventionnelle et ça le gênait un peu, ne voulant toujours pas paraitre déplacé vis-à-vis d’elle, mais discuter et parler de soi tout simplement c’était au fond parfait. Il pouvait la découvrir à travers ses mots, les impressions qu’elle pouvait lui donner. Elle n’était pas née ici mais n’avais peut être pas vraiment connu son pays natal, mais peut-être aussi en avait-elle envie. C’était du moins ce qu’il semblait comprendre. De part cette envie de peut-être voyager, à moins que ce ne soit qu’une simple envie de changement ou de liberté ? C’était des petits détails certes mais c’était avant tout des réponses importantes qu’elle lui avait offert. Et il se devait d’en faire tout autant.

« Waouh la Bulgarie rien que ça…Et je suis sûr que ton chocolat est très bon. »

Il n’était pas le plus difficile des hommes quand il s’agissait de nourriture mais c’était un détail et il ne put donc empêcher un nouveau sourire.

« Sinon pour ma part je suis né dans l’Ohio mais on n’y est pas rester très longtemps. Ma famille et moi on déménageait souvent pour le travail de mon père. En tout cas j’ai un petit frère, Ezra, mais il est partit visiter le monde depuis quelques temps. »

Il marque une légère pause. C’était vraiment quelque chose de particulier les relations fraternels et si parfois ça pouvait être tout bonnement insupportable, ça en revenait quand même toujours à un moment par vouloir retrouver l’autre. Du moins c’était son cas à lui et ça pouvait expliquer que parfois il avait juste envie de pouvoir échanger quelques mots avec lui. Mais tout le monde pouvait avoir besoin de changer d’air et Shawn avait compris. Oubliant les petits tracas qu’il éprouvait pour son frère, il préféra se concentrer sur Yuliya et sur ce petit moment qu’ils pouvaient partager.

« A part ça j’aime bien les voitures et la mécanique en général…d’ailleurs je bricole bien mieux que je ne cuisine en réalité, même si je me débrouille…»

Il n’était pas un grand chef mais il savait quand même faire cuir quelques trucs sans les faire bruler ou préparer un plat mangeable. Pourtant, étrangement il se sentait presque rougir, ça n’avait pourtant rien de vraiment gênant et ça ne venait pas non plus du fait de devoir parler de lui. Ce genre de chose n’avait d’ailleurs jamais été un problème. Il était simplement avide d’en découvrir un peu plus sur elle. Alors pour continuer cet échange, il accepta finalement de laisser libre cours à un peu de curiosité.

« Et donc si tu avais l’occasion de voyager...Quel serait ton premier choix de destination ? Un endroit ensoleillé peut-être? »

Il sourit en essayant de l’imaginer sur une plage. Tout le monde rêvait de soleil et de sable en général mais peut-être n’était-elle pas tout le monde en fait.

Elle avait sourit. Elle avait écouté, doucement, comme une vague musique apaisante. Comme s'il n'y avait que ça et rien d'autre. Comme si elle oubliait qui elle était, qui on voulait qu'elle soit pour être plus comme lui la considérait: quelqu'un de bien. Quelqu'un qui n'était pas qu'un monstre, une anormalité de la nature qu'on ne considérait pas toujours avec le plus grand sens de l'humanité. Quelqu'un qui pour une fois, lui était sincère. Elle aimait à apprendre sur lui, petit à petit, comme s'ils se connaissaient depuis un moment déjà et que leur conversation n'était qu'une banalité quotidienne pourtant réconfortante. Il aimait à savoir qui il était, d'où il venait, ce qu'il faisait, ce qui lui faisait peur, ce qui le faisait sourire, sa famille. Elle était contente qu'il veule bien lui partager ce qu'elle ne connaissait pas vraiment. Sa famille, c'était la CIA et on pouvait certes pas dire que c'était sa préférer. Sa vrai? Elle n'en parlait pas, le cœur tordu en pensant à elle, le cœur froissé. Un cœur froissé de rancune. Elle leur en voulait comme mille derrière ses airs d'ange calme et doux. Elle leur en voulait de l'avoir ''vendue'' comme un animal de foire à subir des torts, des expériences et on ne savait trop quoi d'autre exactement. Des choses dont elle ne pipait mots. Des choses dites, vues et subites qu'elle gardait enfouis au plus profond de son petit être blessé. Et puis, il y avait Shawn, là à sourire, à lui faire pardonner, à lui faire oublier un temps n'appartenant qu'au passé.

Elle avait sourit un peu plus encore lorsqu'il en revient sur la nourriture, comme s'il s'agissait d'un sujet perpétuel entre les deux, comme s'ils ne pouvaient officiellement pas se passer d'en dire quelques mots sur le sujet. Puis, il l'interrogea doucement. Chacun son tour, après, et pour une fois, elle se plaisait de lui raconter ses pensées, ses envies, ses idées. Comme elle l'aurait fait a un bon ami. Comme elle l'aurait fait à quelqu'un dont elle était peut-être plus proche encore.

«Hey bien, où est-ce que j'irais comme premier lieu si je pouvais voyager? Huuuum...»

Elle se passa une main dans le cou, attrapa une mèche de cheveux qu'elle enroula automatiquement autour de ses doigts, dans un élan de réflexion. Où voulait-elle aller, réellement? Shawn ne s'imaginait sans doute pas ce qu'elle pensait à ce moment. Elle ne voulait pas de plage. Elle ne voulait pas de musées. Elle ne voulait pas des grandes-villes ni des navires. Elle voulait le Montana. Elle voulait survoler l'océan tout entier. Elle voulait les nuages. Elle voulait surplomber le monde et non pas le regarder de bas. Elle émit un drôle de rire gêné.

«Tu vas me trouver stupide... J'irais au sommet du mont Everest pour regarder le monde invisible derrière un mur blanc.»

Vraiment, qu'elle fille normale dirait ce genre de chose? Probablement une fille qui ne pouvait pas voler parmi les oiseaux. Or, elle le pouvait. Elle aurait pu. Et cette idée, brusquement, la terrifia... Un oiseau... Elle avait l'air d'un oiseau, et s'était encore plus stupide pour elle de penser qu'on pouvait accepter une telle créature. Même les ailes coupées, elle n'était rien de plus qu'une anormalité, pour son plus grand malheur.

«Shawn, écoute, je...» mais elle n'acheva jamais sa phrase, perdue dans ses pensées et brusquement secouée par la sonnerie du téléphone. Comme quoi toute bonne chose avait une fin, qu'elle le veuille ou non. Alors lorsqu'il fut contraint à arrêter cette rencontre, elle voulu apaisé son air de chiot effrayer.

«T'en fais pas... je te reverrai demain.»

Doucement. Juste pour lui faire comprendre qu'elle ne tenait pas à le laisser partir de sa petite vie mouvementée. Pas comme ça, du moins.