Le cliquetis de la cafetière, le bruit de l’eau à ébullition, le sifflement du café en train de passer, son odeur et enfin le silence de la salle de repos et de la quasi-totalité du bâtiment en fait. Le regard perdu dans le vague, elle exécutait tous ces gestes tel un automate, dans le seul but de répondre au besoin de caféine des quelques âmes qui comme elle acceptait encore d’être ici. On l’aurait bien envoyé chercher ses maudits cafés à l’extérieur, si seulement une seule boutique avait eu l’idée d’être encore ouverte. A croire qu’il n’y avait qu’eux pour accepter de réellement travailler toute la nuit, mais d’un autre côté il était impensable pour la jeune femme comme pour presque tous de laisser le moindre blanc à l’antenne. Alors on se relayait, équipe de nuit, équipe de jour, animateurs différents, programme musicaux, émission de minuit qu’on alternait afin que tous puisse quand même à un moment se reposer. Il n’y avait qu’aux dernières heures de la nuit qu’on laissait simplement tourner la musique sous la surveillance d’une seule personne qui n’était pas elle.

Tasses en main, elle quitta la pièce au vieux canapé pour rejoindre le premier studio, déposant une première tasse dans les mains du chef de programme de nuit avant de lever les yeux vers le boitier "on air" qui brillait de sa lueur rouge, signe que ce n’était pas vraiment le meilleur moment pour entrer. Enfin le boitier passa au vert, laissant ainsi le droit à Haley de passer le seuil du studio d’enregistrement et de remettre son café à l’animateur, avant de se diriger dans un coin du cube et de pousser le chariot un peu branlant sur lequel avait été rassemblé toutes les pochettes qui avaient pu tourner dans la journée et qui ne demandaient qu’à retourner sur leur étagère. Sortant de la pièce alors que les premières mesures des Turtles et leur chanson Eleanore retentissait déjà, la forçant à refermer la porte sans le moindre bruit.

Poussant son chargement jusqu’à l’annexe aux rangements légèrement poussiéreux, elle n’avait eu que l’envie de chanter à tue-tête dans les couloirs vides et si peu éclairés, mais s’était finalement résigné à ne pas briser le silence qui régnait, se contentant de sa voix mentale pendant qu’elle remettait chaque disque à sa place. Elenore, can I take the time… Il y avait sans doute plus palpitant comme travail ou façon de passer sa nuit, mais étrangement elle n’aurait pas facilement échangé sa place, préférant encore se trouver ici que dans le trou qui lui servait d’appartement à écouter passer les trains… To ask you to speak your mind…Combiné boulot et passion n’était pas chose toujours faisable et même si ce n’était pas le job de ses rêves, il avait au moins le mérite de lui rappeler les bons moments passés avant d’émigrer vers l’Amérique. Si bien qu’elle n’aurait eu aucun problème à en faire son chez-soi et acceptait sans rechigner de rester à des heures moins conventionnelles. Et sans cela aurait-elle sans doute manqué une de ses meilleures rencontres.

Teeeeell me that you love me better…Son esprit toujours en fête, elle n’entendit pas les premiers bruits jusqu’à ce qu’ils se rapprochent tant qu’elle ne puisse plus les ignorer. L’album de Van Morrison en main, elle tendit l’oreille afin de vérifier que tout ceci n’était pas le fruit de son imagination ou simplement un de ses collègue qui passait. Le bruit était malheureusement bien trop fort pour un habitué des lieux et dans cette ville plutôt dangereuse, il n’en fallait pas plus pour que son imagination s’enflamme. Abandonnant là son rangement, elle saisit le premier objet lourd qui pourrait lui servir d’arme et sortit en silence, suivant la direction d’où était venue l’alerte. Aurait-elle du appeler à l’aide ? Ne pas jouer à qui arrêterait le cambrioleur ? Les salles d’enregistrement étaient de toute façon trop éloignés pour que quelqu’un d’autre ait pu entendre et donc pour prendre le temps de ramener du renfort. Et qui disait qu’il ne s’agissait pas juste d’un employé un peu trop pressé ?

Arrivé devant la porte des toilettes elle doutait d’ailleurs de plus en plus de sa thèse de cambrioleur et attendait donc dissimulée dans l’ombre de voir ce qui en sortirait. Ne reconnaissant absolument pas le jeune homme, elle avait cessé de réfléchir pour simplement frapper, assommant le gaillard qui tomba étourdi à ses pieds. Tirant et poussant, Haley avait fini par trainer le corps de l’intrus dans un coin tranquille, veillant bien entendu à ce qu’il ne puisse s’enfuir ou lui sauter après en venant à se réveiller. Elle avait également prit soin de lui faire les poches, ayant alors juste le temps d’examiner son portefeuille avec attention, avant que le jeune homme ne commence à montrer les premiers signes de conscience. Ramassant la massue improvisée, elle s’était hâtée de tout remettre en place, prête à découdre une fois de plus avec cet étrange intrus s’il le fallait, le menaçant presque.

« Je peux savoir qui vous êtes et ce que vous faites ici ? »

Si il est vrai que son esprit c’était emballé à l’écoute des bruits, Haley avait tout de même fortement douté tomber sur un intrus en approchant des toilettes. Quel genre de cambrioleur venait pour dévaliser ce genre d’endroit après tout ? Remettant ces questions à plus tard, tout comme l’idée d’aller prévenir les autres employés, elle se mit sur la pointe des pieds, levant les bras assez haut pour frapper l’homme sortant sur le dessus du crâne. Peut être était-ce un peu exagéré, mais à une telle heure et dans une ville aussi peu sure que New York on était jamais sur de rien. La sécurité avant tout. L’intrus à terre et hors circuit, c’était le moment idéal pour alerter le personnel encore en train d’enregistrer ainsi que la police, pourtant elle n’en fit rien. La jeune femme était trop tracassée par l’endroit qu’il avait visé. Les portes de la station étaient verrouillés, la sécurité présente donc cette homme avait du faire quelques efforts pour pouvoir s’introduire dans les lieux. Du moins en tant normal et Haley ne pensait donc nullement qu’il puisse en être autrement. Alors à moins d’être stupide, se donner autant de mal pour visiter les toilettes où il n’y avait rien d’intéressant à emporter n’était pas logique. A moins qu’elle ne soit tombée sur une sorte de fétichiste étrange…

Tout cela la laissait assez perplexe pour qu’elle décide de vérifier certaines choses avant de crier à l’intrusion. Elle avait donc trainé le corps jusqu’à l’espace de stockage, le coinçant du mieux quel pouvait sur une chaise, immobilisant pied et main pour éviter toute mauvaise surprise au réveil du "cambrioleur". Elle n’avait d’ailleurs pas hésité à lui faire les poches, essayant par la même de glaner quelques informations intéressantes, comme son identité ou l’endroit où le trouver si malgré tout il parvenait à s’enfuir. L’homme commençait néanmoins à remuer, la forçant à tout remettre rapidement dans ses poches pour qu’il ne s’en rende pas compte avant de le menacer de son arme improvisée pour qu’il s’explique.

Elle agissait à l’instinct depuis un moment maintenant, ne prenant pas le temps du recul sur la situation et ses actes. Et a n’en pas douter elle frapperait encore si quelque chose ne lui plaisait pas. Elle se laissait toujours facilement emporter, c’était bien le problème, même si la situation pouvait paraitre légèrement légitime. Croisant enfin les yeux bleus de l’homme mystère, elle posa les questions qui lui brulaient les lèvres. Un moment s’écoula, ou les deux jeunes gens se fixèrent du regard dans un silence complet qui la mettait presque mal à l’aise. Il attendait quoi au juste pour répondre ou pour bouger ? S’il espérait trouver une idée lumineuse à lui raconter, le pauvre était mal tombé et prenait le risque de récolter un nouveau coup, pas forcément sur la tête.

Brisant le silence, la réponse vint enfin, aussi étrange que l’était cette rencontre dans le fond. Toute personne normale aurait sans doute rit ou frapper devant l’aveu d’Adrian, mais par chance le jeune homme était tombé sur une des rares personnes à pouvoir croire sans doute à ses paroles. Restant silencieuse, elle le regarda étrangement, attendant elle ne savait quel bourdonnement ou sensation qui lui indiquerait un mensonge. Car Haley avait un talent secret, un talent unique –du moins le croyait-elle, n’ayant encore jamais vraiment croisé d’autres mutant- qui lui permettait à chaque fois de distinguer quand on lui mentait. Mais là rien. De plus vérifier le porte feuille de l’homme avait été un autre moyen de s’assurer de la véracité de son identité. Elle acceptait donc de croire à son explication, même si c’était une des choses les plus bizarres qu’elle avait entendu et pourtant elle avait déjà croisé de sacrés phénomènes. Abaissant donc son arme, elle observa Adrian en réfléchissant.

« Ok … admettons… c’est quand même un peu louche tout ça. En plus comment vous êtes entré ? A cette heure-ci toutes les portes sont verrouillées et il y a des gardiens. »

Même si elle le croyait, elle n’avait encore fait aucun geste pour le libérer. Il restait des zones d’ombres à éclaircir. Elle était encore bien capable de prévenir la police, attendant donc des réponses très convaincantes du jeune homme s’il espérait qu’elle accepte de laisser partir tranquillement. Après tout il y avait surement plein d’autre possibilité qui aurait permis à Adrian de se soulager sans entrer par effraction. Peut être qu’il lui avait dit seulement une partie de ses intentions ? Elle préférait donc rester méfiante pour le moment.

La rencontre aurait certainement parut cocasse à Haley si elle n’avait pas de prime abord été aussi étrange. Et sans doute que n’importe quel observateur extérieur aurait pu rire ou s’amuser des mines et réactions de chacun des deux protagonistes face aux actions de l’autre. Il était des plus normal pour Haley d’être surprise par la raison de la présence d’Adrian ici, tout comme ce dernier avait raison d’être surpris de ne pas recevoir un nouveau coup face à ce qui ressemblait à la pire excuse du siècle. Et c’est ainsi que chacun affichait une expression étonné, leurs têtes étant alors tel que le reflet de l’une et l’autre comme si chacun était face à un miroir. La jeune femme avait néanmoins repris la parole la première, désirant plus d’explication et sans doute grand mal lui en pris quand le jeune homme lui donna le fond de ses raisons, la laissant avec deux yeux ronds comme des billes pour toute expressions. Alors comme ça Mr avait besoin de toilette et préférait donc entrer par effraction chez les gens…what the f*ck ? … Ce type était décidément sacrément weird. Chose qu’elle aurait certainement beaucoup plus apprécié habituellement, mais en d’autres circonstances qui n’étaient pas le milieu de la nuit et son lieu de travail.

On aurait facilement pu croire que le plus étrange était désormais passé et pourtant une nouvelle surprise se profilait déjà à l’horizon. Effaçant son air de stupeur idiote, Haley commença à écouter les explications d’Adrian sur sa façon d’entrer. Ce n’était néanmoins qu’un maigre répit qui ne dura que jusqu’au moment où le jeune homme se leva, libéré de sa chaise, lui faisant faire un bond en arrière de surprise. D’instinct elle avait levé son arme, prête à frapper une fois de plus, geste retenu au dernier moment quand l’intrus commença à parler de mutant et d’intangibilité. Et au lieu de s’éclairer d’une lueur curieuse, son expression se chargea à la place d’une totale incompréhension. S’en était trop de bizarrerie et d’étrangeté pour une seule et même soirée il faut croire et son cerveau ne semblait pas se satisfaire des justifications d’Adrian.

N’ayant encore jamais vraiment cru aux fantômes, la jeune femme chercha quelques secondes une explication logique à la libération du garçon. Les liens n’étaient pas défaits pourtant et dans un élan de courage, elle se décida à approcher de quelques pas, main droite crispé et prête à frappée tandis que la gauche s’avançait prudemment jusqu’à pincer Adrian et vérifier qu’elle pouvait bien le toucher. Malheureusement ses doigts ne se refermèrent sur rien de substantiel, la faisant à nouveau reculer d’un pas.

« Oh boy … I’ll kill Sam … He dared drugged my coffee ! »

Le pauvre animateur et collègue n’était bien sur en rien responsable de ceci, ayant terminé sa journée depuis bien longtemps, mais en cet instant c’était l’explication la plus logique qui lui était venue. De plus elle n’était pas du genre à abusé de substance hallucinogène et sa dernière soirée très arrosée remontait à plusieurs jours, c’était donc naturellement que ses soupçons c’était tourné vers Sam.

Haley n’avait jamais vu sa capacité à sentir quand on lui mentait comme un véritable don ou pouvoir magique, alors de là à penser qu’elle puisse être une mutante ou qu’elle ne soit pas la seule… Après tout certain était bien capable d’hypnose ou de suggestion mentale sans qu’il n’y ait rien de magique ou de surnaturel derrière alors pourquoi en serait-il autrement pour elle ? Ce pourquoi elle n’y avait jusqu’à présent jamais vraiment cru. En revanche rien ne pouvait expliquer logiquement les capacités d’Adrian. Totalement perdu, la jeune femme ne savait plus que faire. Frapper ? Pincer de nouveau ? Appeler la sécurité ? Prendre rendez-vous chez un médecin ? Le choix était vaste, mais autant pousser le délire jusqu’au bout pour être sure. Loin de se démonter, elle brandit donc la massue improvisée entre elle et Adrian.

« Vade retro freaky man ! »

Elle n’avait jamais vraiment été adepte de religion, mais quitte à se retrouver dans l’incompréhension et la stupeur autant rendre la monnaie de sa pièce à cet intrus. Et la formule n’était pas si mal trouvé au fond, peut-être même parviendrait-elle à le déstabiliser ou à l’effrayer.

Oh elle n’était pas folle loin de là. Elle n’était pas non plus adepte de magie noir et d’exorcisme, non. Tout ce cinéma n’était qu’un énorme et magistral coup de bluff qu’elle essayait de faire avaler au mutant dans l’espoir de le déstabiliser assez longtemps pour trouver quoi faire. L’art de la comédie au service de la survie c’était un domaine qu’elle maitrisait. Elle était loin de se voir affronter cet énergumène, elle n’avait qu’une envie, c’était qu’on vienne la retrouver pour lui dire que non elle ne rêvait pas. Elle aurait pu fuir et appeler du renfort mais à coup sur à son retour il n’y aurait plus aucune trace de l’intrus non ? Et elle n’avait nullement l’envie de passer pour folle, elle tenait bien trop à ce job. Alors elle avait tenté le tout pour le tout, essayant de par son jeu de l’effrayer et de le déstabiliser autant que lui-même avait réussi à le faire. Un juste retour des choses et cette envie mutuelle de fuir. Restait alors seulement à voir lequel des deux abandonnerait la confrontation et fuirait à toute jambe le premier.

Agitant, menaçant, la main crispé sur son arme de fortune, elle était à cours d’idée et désespérait d’en trouver une nouvelle. Ils ne pouvaient pas rester ainsi le reste de la nuit à tenter de prendre le dessus psychologique sur l’autre ou à tenter d’expliquer ce qui semblait au fond inexplicable. Et finalement ce fut Adrian qui céda, lui tournant le dos prenant la fuite à toute jambe comme si ça vie en dépendait vraiment. Et le voir traverser le mur acheva pour ainsi dire Haley qui eu presque envie de hurler et de partir à son tour en courant, se contenant difficilement, laissant tomber son arme improvisé sur le sol avant de rester planter là, interdite, pendant un certain temps.

Prenant tout le courage dont elle était capable, elle s’approcha finalement du mur qu’Adrian avait choisi pour fuir plaintivement. Arrivé à quelques mètres seulement elle mesura avec attention ses pas, craignant que peut être l’étrange fantôme ne ressurgisse et ne lui provoque un arrêt cardiaque. Au pied du mur elle posa une main sur ce dernier pour en vérifier l’existence et la solidité avant d’y laisser tomber son front dans un soupir de désespoir. Elle ne savait pas quoi faire. A dire vrai elle ne voulait pas savoir. Pas ce soir en tout cas. Ce soir elle voulait se dépêcher de finir ses heures, de rentrer chez elle et d’essayer d’oublier toute cette hallucination pour un moment. Peut être irait-elle consulter, peut-être essaierait-elle de comprendre, elle ne savait pas encore. La seule chose dont elle était sur c’était le fait de ne rien dire à personne et de faire comme si tout était normal pour le reste de la nuit.

Terminant de ranger les disques comme elle l’avait fait avant de surprendre l’intrus, elle quitta finalement la pièce de rangement où elle n’aurait jamais cru vivre autant d’émotion, refermant avec grand soin la porte, comme si elle avait craint que quelque chose ne s’en échappe ou entre à nouveau aller savoir. Le plus naturellement possible elle repartit en direction des studios d’enregistrement où les dernières émissions étaient diffusées. Là au moins elle était sûre de trouver de vraies personnes. Hors de question de rester seule, si jamais il reprenait l’envie à l’étrange mutant de revenir la hanter, elle ne serait plus le seul témoin. Haley ne savait plus vraiment que penser, mais une chose était certaine, c’est que les événements de cette nuit la marquerait longtemps, mais pas de manière aussi négative qu’elle se l’imaginait à l’instant.