Alice se sentait comme chez elle à l’Institut Xavier. Pourtant, elle ne devait pas avoir passé plus de d’un mois d’affilé en un an au sein du bâtiment. Son sentiment relevait plutôt de ce que le château représentait pour elle. Un endroit qui rappelait la maison maternelle qu’elle avait du quitter en vitesse il y avait maintenant cinq ans, un havre de paix où on ne la regardait pas bizarrement lorsqu’elle traversait un mur sans s’en rendre compte, où on ne la considérait pas comme un fantôme, pas comme un monstre, pas comme un esprit dénué de conscience. L’Institut Xavier, par la diversité des personnes qu’il hébergeait, lui permettait d’avoir confiance en elle, ce qui était un grand pas de géant dans sa vie. C’était d’ailleurs pour cela qu’Alice avait besoin d’y revenir régulièrement. Un Week End. Une semaine, deux lorsqu’elle posait des vacances. Comme maintenant.

Ses yeux clairs se posèrent sur le plafond lorsqu’elle ouvrit les yeux. Il ne devait pas être plus tard que dix heures, même si elle ne s’était pas couchée avant sept heures du matin. Ce n’était pas qu’Alice dormait peu, c’était qu’elle avait un rythme de vie totalement décousu. Une sieste de cinq heures juste après manger à midi lui faisait office de nuit avant de partir à l’hôpital, pour veiller toute la nuit à bien s’occuper des patients et des urgences qui arrivaient dans le bruit, les cris et l’agitation. Mais ce n’était pas le moment d’y penser : elle était en vacances, et elle devait se mettre cela dans la tête. Et pour commencer, il n’était pas encore trop tard pour aller chercher à manger au réfectoire, ni pour aller prendre une bonne douche pour se décontracter avant de frayer avec de nouvelles personnes. Pleine de vivacité – Alice n’était pas du genre à traîner au lit et ne l’avait jamais été – elle sauta dans ses chaussons, enfila un survêtement, un simple tee-shirt et un sweat, du s’y prendre à plusieurs reprises laissant par trois fois le vêtement traverser sa peau au lieu de l’envelopper, et fut enfin prête à sortir. Une demi-heure plus tard, les cheveux encore mouillées de sa douche, Alice fit quelques pas hors de la chambre. Seulement, c’était bien beau d’être habillée, lavée, reposée, à l’Institut, il fallait encore se trouver une occupation. Les yeux clairs d’Alice dérivèrent vers ses livres de cours, mais elle s’obligea à détourner le regard : il fallait qu’elle sorte un peu de ses bouquins, bon sang. Actuellement, sa vie, c’était ses cours de médecine, ses petites étapes de ravitaillement pour éviter de devoir trouver de l’argent pour payer son université et son loyer, et ses stages de nuit. La blondinette se passa une main dans les cheveux, commençant à errer dans les couloirs. Aller voir Shawn qu’elle n’avait pas vu depuis sa dernière escale à l’Institut ? Tenter de voir Ellie ? Oui, peut être mais… pourquoi ? Il lui fallait bien une raison pour aller déranger quelqu’un, puisque ce n’était pas du genre d’Alice de s’imposer comme ça.

Laissant ses pas la guider au sein du bâtiment, mains dans les poches, cheveux détachés, et sans aucun but particulier, Alice arriva bientôt devant une porte qu’elle connaissait bien, malgré sa récente arrivée. L’infirmerie. Si elle connaissait bien la pièce – puisque d’un pas, sans prendre la peine d’ouvrir la porte, l’intangible traversa le mur – ce n’était pas parce qu’elle en était souvent l’invité, mais plutôt parce qu’une fois encore, sa passion l’avait rattrapée. Ses doigts effleurèrent le lit le plus proche, le traversèrent pas inadvertance, le temps qu’Alice s’en rende compte et matérialise d’un mouvement agacé de la main l’ensemble de son corps. Ca n’allait être très certainement que temporaire, puisque la plupart du temps, Alice donnait l’impression d’être légèrement transparente, mais bon : même si elle relâchait très nettement sa vigilance au sein même du château, il ne fallait pas pour autant qu’elle perde les bonnes habitudes. Perdue dans ses pensées, appuyée à l’une des fenêtres donnant sur le parc, Alice sursauta entendant la porte s’ouvrir sur un petit garçon.

« Bonjour, tu… tu cherches quelqu’un ? »

Devait-elle lui préciser qu’elle n’était pas un fantôme malgré sa peau diaphane ? Non, certes non. De toute manière, elle était tangible, là. Elle venait de se reconcentrer pour être matérielle. Elle devait encore sembler consistante. Alice croisa les doigts en s’adossant au mur.

Spoiler:

Ce qu’Alice remarqua en premier, ce fut l’âge de l’arrivant. Un arrivant de son âge. Enfin… pas l’âge d’Alice, non, mais disons que c’était un patient de l’âge de ceux qu’elle prenait en charge à l’hôpital. Comme si son travail ne voulait pas la lâcher, et comme si elle ne voulait pas le lâcher non plus. Ils se retrouvaient inévitablement. Ses pas à elle l’avaient menée ici, et ses pas à lui aussi. Ses pas irréguliers d’ailleurs. Dans un sourire mêlé d’une grimace, le petit garçon répondit à la question d’Alice, alors qu’elle s’avançait vers lui d’un pas de brume en ignorant les lits ou autres meubles en travers de son chemin. L’avantage de pouvoir aller en ligne droite quelques fussent les obstacles. - Heuu..bonjour...je cherche...l’infirmière s'il vous plait. J'me suis... fait mal à la cheville. Alice lui fit un petit sourire pour le rassurer, en lui tendant une main douce : « Je ne suis pas infirmière, mais je suis médecin, tu penses que ça va faire l’affaire ? » Sa voix chantonna naturellement, comme elle en avait l’habitude dès qu’elle parlait à ses patients. L’intangible retrouva pleinement sa matérialité en même temps que sa confiance en elle, alors qu’elle l’aidait à s’asseoir sur le lit le plus proche, et s’accroupissait au niveau de sa cheville. Elle s’apprêtait à lui demander son prénom lorsqu’il le lui donna sans attendre qu’elle pose la question. Ho! Pardon mademoiselle.. j'vous ai pas dit mon nom...j'm’appelle Ethan. La blondinette écarta ses cheveux blonds qui lui tombaient devant les yeux, en répondant sur un sourire : « Et bien… bonjour Ethan dans ce cas. Moi c’est Alice. » En quelques mouvements, elle délassa les lacets des chaussures du petit garçon. « Alors, raconte moi tout Ethan. C’est la première fois que tu te fais mal à la cheville ? » Elle avait une petite tripotée de questions à lui poser, mais il convenait de commencer par le début. D’abord : gérer la possible anxiété du patient. S’il lui disait oui, Alice savait qu’elle allait devoir dans un premier temps le rassurer et le faire se détendre. S’il avait l’habitude – bien qu’il n’ait pas spécialement l’air d’être un casse cou à première vue – et bien… elle n’avait qu’à lui dire de faire attention et de ne pas forcément prendre une foulure à la légère. Car oui, pour le moment, elle suspectait juste une foulure. Mais elle n’allait pas tarder à confirmer cette intuition, il fallait juste qu’elle ailler chercher au moins de l’arnica ou quelque chose à donner à Ethan pour lui permettre d’oublier qu’il avait mal. Le faire parler, ou lui faire manger un bonbon. « N’enlève pas ta chaussure. Tu vas voir, ça va être marrant. » Lui fit elle dans un clin d’œil. Frottant ses mains l’une contre l’autre, elle les réchauffa avant de les poser sur la chaussure du petit garçon. Qu’elle traversa posément pour poser ses doigts sur la cheville légèrement chaude de tension. Tout en s’exécutant, Alice avait repris la parole : « Alors Ethan, que s’est il passé ? » Lorsqu’elle était intangible, Alice n’était pas totalement coupée de ses sensations tactiles. Elle sentait les températures, et avait même une intuition des matières. De la rugosité des briques à la souplesse de la terre en passant par la texture gravillonneuse du béton. Chaque matière avait une identité propre, et alors qu’elle effleurait – ou plutôt traversait – la cheville d’Ethan, en palpant de manière immatérielle ses tendons et ligaments, elle essayait de savoir ce qu’il se passait dans l’organisme du jeune mutant. Car ce devait en être un pour qu’il soit à l’Institut. Un aussi jeune mutant ?

Alice essayait de faire parler Ethan pour le distraire et détourner son attention de sa cheville enflée, mais peine perdue, il s’y intéressait bien trop pour qu’elle soit satisfaite de sa diversion. Ca ne la dérangeait pas de l’écouter parler, bien au contraire. D’une oreille semi attentive, elle l’écouta donc lui expliquer comme il s’était fait ça, et sourit légèrement en entendant l’histoire. Un chaton coincé, une glissade… Son sourire se figea néanmoins lorsqu’elle s’aperçut à quel point il était tendu. Stressé. Paniqué ? Peut être, mais ça restait à confirmer. Il était mal à l’aise, en tout cas, et cela ne souffrait d’aucun doute. Etait-ce en rapport avec son intangibilité qu’elle contrôlait et dont elle était en train d’user pour éviter au petit garçon d’enlever sa chaussure ? J'ai voulu aider un aïee ! Un chaton qui était coincé dans un arbre mais, j'ai glissé et je suis aïee! Tombé de l'arbre. Il essuya d’une main une larme, et elle ôta aussitôt sa main à elle, la secouant pour la rendre la plus tangible possible. Oh, ce fait de secouer la main n’intervenait en rien, normalement, dans la matérialité de son corps, mais Alice parvenait mieux à repousser son intangibilité en faisant un mouvement précis, comme si par réflexe face à ce mouvement, ça allait mieux. Malgré ses vingt trois ans, la mutante restait encore très naïve et perdue face à ses pouvoirs, et se raccrocher à des choses simples… c’était le mieux qu’elle avait pu trouver pour contrôler le tout. Et éviter qu’on la prenne pour un fantôme. Elle allait lui demander ce qui n’allait pas, et si elle lui avait fait mal, lorsqu’il la devança pour lui poser des questions. Le mur de la timidité et de la méfiance était-il en train de se fissurer ? La blondinette croisait les doigts pour que ce soit le cas. Elle avait toujours été à l’aise avec les enfants, et à l’hôpital, la réciproque était vraie. Un enfant en détresse était un enfant à aider, et elle souffrait à chaque fois qu’elle n’y parvenait pas. - J'vous ais jamais vue ici. Vous êtes nouvelle? J'suis désolé si j'vous ai regardée bizarrement mais, vos pouvoirs me font un peu peur, ils me rappellent les miens, que j'comprends pas... Oh. C’était plus clair à présent. Alice avait pensé, erreur, que tous les mutants de l’Institut Xavier assumaient, acceptaient, géraient extrêmement bien tous les pouvoirs, bien mieux qu’elle ! Elle avait donc considéré sans se soucier de ce que pouvait penser Ethan, que ça ne serait nullement un problème si elle en usait sans demander la permission. Alice se mordilla la lèvre de malaise en se rendant compte de cela. « Oh, excuse moi Ethan, vraiment, je suis désolée. Je ne sais pas ce qui a pu me passer par la tête… Promis, j’arrête tout de suite. » Avec un petit sourire, histoire d’alléger l’atmosphère, elle rajouta d’une voix taquine : « Avec un tel aventurier devant moi, je n’ai pas fait attention à ce que je faisais. ». Attrapant une poche de glace, elle entreprit d’enlever la chaussure d’Ethan le plus délicatement possible. « Attention, ça va être froid » fit elle avant d’appliquer la poche sur la cheville effectivement enflée. « Ce n’est pas une foulure très importante, le froid va la faire désenfler, et avec une petite attelle, il n’y paraîtra plus rien dans deux trois jours. Sauf si tu t’amuses à escalader d’autres arbres » Alice voulait vraiment le mettre à l’aise. Se relevant, elle s’assit à côté de lui, pour, enfin, répondre à ses questions qu’elle avait laissées de côté pour le moment. « Je ne suis pas vraiment nouvelle. Le professeur Xavier m’a invitée ici depuis… un an, un an et demi, mais je ne reste jamais bien longtemps. Je fais des études prenantes, en ville, alors je ne rentre ici que… parfois. Et pas longtemps. Mais l’Institut est comme une maison et une famille. » Elle fit une pause, peu habituée à parler d’elle de cette manière. Ce devait aussi être pour cela qu’elle était à son aise avec des enfants : elle n’avait pas peur qu’ils aient peur d’elle ou qu’ils la jugent. « Je comprends mes pouvoirs te fassent peur… Je ne les contrôle pas très bien, elle replaça une mèche blonde qui s’était échappée, derrière son oreille, s’apercevant au passage que le blond était devenu si pâle qu’il pouvait paraître transparent. Il fallait qu’elle se concentre davantage, si elle ne voulait pas repasser en mode fantôme. j’imagine que si je te dis qu’on m’appelle Ghost, ça ne t’étonnera pas. » Conclut-elle dans un sourire un peu forcé, il fallait l’avouer. Ce n’était pas qu’elle n’aimait pas ce surnom, elle l’avait choisi elle-même, c’était qu’il était rattaché à des souvenirs bien peu agréables dans sa mémoire. Et à sa mère. « Et toi, Ethan, quelle est ton histoire ? » Alice voulait en savoir plus sur ce jeune mutant. Ce n’était pas qu’elle n’en avait jamais croisés d’aussi jeunes, mais elle n’avait jamais pu parler ainsi à l’un d’entre eux. Et elle se demandait si certains de ses patients étaient eux aussi comme elle. Comme eux.